Avec Paris, Prague est certainement l’une des villes du monde les mieux habitées par le rêve.
Parcourue de légendes, hantée de figures mythiques, entre le peintre Arcimboldo, Rodolphe II de Habsbourg, le prince alchimiste, et le Golem célébré maintes fois par la littérature et le cinéma, la ville de naissance de Franz Kafka, de Bohumil Hrabal, de Gustav Meyrink et de Leo Perutz est romanesque par excellence. Mais elle abrite aussi des poètes, parmi lesquels Vitězslav Nezval (1900-1958) est sans doute celui qui la célébra avec la plus grande constance. Proche des Surréalistes français avant de se mettre à tresser – comme bien d’autres – des couronnes à Staline, Nezval sut allier dans ses poèmes la fulgurance des images de rencontre propres au surréalisme à l’évocation pleine de tendresse et de magie d’une capitale qu’il n’aborda pourtant pas sans crainte, à vingt ans, dans une gare « triste comme de la cendre » ou tentant en vain de s’endormir « dans une mansarde où quelqu’un se suicidera ». Il s’acclimatera, cependant et, véritable piéton de Prague comme d’autres le furent de Paris, il endormira sa méfiance et saura bientôt débusquer « ces petites places inconnues / avec leurs fenêtres d’où les tapis vous tirent la langue », ou bien aimer ses arcades « À trois ou quatre heures du matin / Quand elles guettent comme un piège l’écho des pas ». Tout Prague est là, de poème en poème, avec ses pluies et ses brumes, son incomparable soleil matinal aussi, et son chant bien particulier que l’on n’entendra jamais mieux que dans ces vers. Bien mieux qu’« en vrai », en tout cas, quand, dénaturée par le surtourisme et Ryanair, Prague n’est plus désormais que l’un de ces hauts-lieux de la consommation mondialisée où les marchands du Temple ont depuis longtemps établi leur nid. Dès lors, pourquoi s’y rendre au risque d’être déçu quand cette simple anthologie de 1960, aujourd’hui rééditée par les éditions Manifeste !, vous coûtera bien moins cher qu’un billet d’avion, même low-cost et, pour un bilan carbone avoisinant le zéro, vous enverra côtoyer les fantômes d’une ville encore indemne d’Anglais en ribote ?
Yann Fastier