Si Dumas et ses Trois mousquetaires font habituellement figure de pères tutélaires du roman de cape et d’épée,

 

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Les Pardaillan de Zévaco en sont assurément l’apothéose, venant en bouquet final d’un genre littéraire qui connut sa plus grande gloire dans la seconde moitié du XIXe siècle, comme une apostille au roman d’aventure historique à la Walter Scott. Publiés entre 1907 et 1926, les dix romans qui composent le cycle des Pardaillan n’ont pourtant rien d’enfants de vieux : le panache est intact et les bretteurs plus fringants que jamais.

Mais, d’abord, pourquoi les Pardaillan ? C’est qu’à l’instar des fameux mousquetaires, ils sont trois, et même quatre. Dans la famille Pardaillan, on demandera donc d’abord le père (ou le grand-père) : vieux reître sans feu ni maille, batteur d’estrade et spadassin sans emploi, il n’a pour seul richesse que son fils Jean, auquel il aura enseigné ses meilleurs bottes. Dans les deux premiers romans, il sera le fidèle compagnon de ce dernier, assumant avec une joyeuse férocité le rôle de faire-valoir avant de mourir au terme d’un combat épique. Mais le véritable héros, ce sera Jean – le fils (ou bien le père, donc) – escrimeur invincible, d’une intelligence aussi aiguë que sa rapière, il la met au service de la justice, des amoureux et des pauvres avec une classe en tout point digne d’un Arsène Lupin en hauts de chausses. Il sera le seul présent dans l’intégralité du cycle, aux côtés, toutefois, de son fils, Jehan, et de son neveu, Odet de Valvert. Une famille de fortes têtes, donc, dont le propre est de ne se soumettre à aucune autorité.

Car les Pardaillan sont avant tout des anarchistes. Actif militant lui-même avant de devenir écrivain, Michel Zévaco (1860-1918) ne faisait pas mystère de ses opinions. Aussi, quand nombre de leurs vénérables confrères ne craignaient pas de plier le genou devant le Roi, les Pardaillan ne traitent jamais que sur un pied d’égalité avec les puissants qu’ils côtoient, envers lesquels ils n’éprouvent, le plus souvent, qu’une méfiance dédaigneuse. Le courage, l’honneur et la générosité sont leurs seuls quartiers de noblesse, bien plus vrais que ceux, le plus souvent usurpés, d’une aristocratie avide de pouvoir et prête à tout pour l’obtenir. L’une des originalités des Pardaillan, c’est de se situer, non pas dans le classique XVIIe siècle, consacré par Dumas, Achard, Féval ou Gautier, mais plus tôt, en cette Renaissance finissante qui vit la fin des Valois et l’avènement des Bourbon. Les méchants auront donc pour nom Catherine de Médicis, Henri de Guise ou Concino Concini plutôt que Richelieu ou Mazarin. Mais les personnages historiques ont leurs limites – celles, précisément, que leur assigne l’Histoire – aussi Zévaco dut-il donner à son Jean de Pardaillan des ennemis à la fois plus discrets et plus à sa mesure.

Il y a d’abord Maurevert, le traître universel, lâche et cruel, l’homme de main prêt à toutes les basses besognes et qu’on ne saurait se représenter que sous les traits de l’acteur Guy Delorme, dont le bouc noir suffit encore à incarner la félonie dans nos mémoires de jeunes télespectateurs. Mais, surtout, il y a Fausta. Descendante des Borgia, immensément riche et belle, véritable Fantômas avant l’heure, elle voue à Pardaillan une haine à proportion de l’amour qu’elle ne peut s’empêcher de lui porter, au point d’ailleurs de lui donner un fils. Créature de l’ombre, experte à tirer les ficelles des têtes couronnées qu’elle fait et défait comme qui rigole, elle ne recule devant rien, poursuivant ses noirs desseins avec un sadisme qui fournit à la série ses aspects les plus baroques.

Car c’est enfin l’un des caractères les plus marquants des Pardaillan : venant tard dans l’histoire du genre, et après plusieurs chefs d’œuvre, Zévaco ne craint pas la surenchère. Jeunes filles crucifiées, héros mis au pressoir ou bien pris dans une nasse avec des dizaines de cadavres, théories de spadassins masqués, évasions spectaculaires, maisons truquées, on frôle parfois le grand-guignol – dont c’était, rappelons-le, la grande époque – avec une inventivité jamais démentie, même au rythme infernal où nous mène un auteur qui, décidément, fut à coup sûr l’un des derniers grands feuilletonistes, avec Maurice Leblanc et Gaston Leroux. Quelque peu oublié de nos jours, il n’a pourtant pas pris une ride et les Pardaillan, pour qui ne les a pas encore lus, restent une belle découverte, à dégainer sans modération.

Yann Fastier