Parce que les hormones travaillent, parce qu’il a quelque chose à prouver ou parce qu’on a parfois de ces coups de tête, Charles, en cachette de sa famille, s’engage un jour dans l’armée de l’Union et s’en va combattre les Sudistes.
Transgression d’autant plus grave que Charles est Quaker, issu d’une communauté qui récuse toute violence et, a fortiori, la guerre. Confronté à sa propre différence dans un milieu tout autre que ce qu’il imaginait, forcé de défendre sa vie ou celle de ses camarades, il luttera néanmoins pour ne pas perdre son humanité, conforté par les lettres d’une sœur bien-aimée. Blessé, malade, il est fait prisonnier mais parvient néanmoins à s’évader et à regagner son foyer, où, sa mère morte, c’est une place nouvelle qu’il trouve auprès des siens, d’autant plus enclin à pardonner qu’il lui aura lui-même été beaucoup pardonné. Inspiré en grande partie par les véritables correspondances de jeunes soldats quakers avec leur famille, cet album d’une extrême sobriété, le plus souvent muet et dont les dessins réduits à l’essentiel semblent flotter en silence sur le blanc de la page, pose des questions universelles sous couvert d’interroger un épisode singulier de l’Histoire américaine. Comment une communauté religieuse non-violente qui fut toujours à la pointe de l’abolitionnisme se positionna-t-elle face à une guerre qui avait justement pour prétexte l’abolition de l’esclavage ? Mais, surtout, quelle part en l’homme pour la conscience individuelle face à la doctrine ? Qui pour se prétendre pur et comment se dire juste sans avoir été éprouvé ? Ayant lui-même grandi dans la Société des Amis, Dash Shaw sait de quoi il parle et signe certainement là son livre le plus personnel, après les très remarqués Bottomless Belly Button (2008) et Doctors (2015). Un livre dont l’écho voyage loin et entre naturellement en résonance avec La Conquête du courage de Stephen Crane, monument sans emphase aux soldats fourvoyés auquel Discipline offre une digne réplique.
Yann Fastier