Ceux qui firent jadis leurs délices des Gars de la rue Paul de François Molnar seront ravis d’apprendre que leur traduction ne valait pas tripette
et qu’il était urgent de redécouvrir dans une version enfin digne de lui ce grand classique de la littérature jeunesse hongroise. Les autres auront la joie de découvrir pour la première fois cette Guerre des boutons des bords du Danube, qui voit deux bandes d’enfants de Budapest s’affronter pour la possession d’un précieux terrain vague. Sous le commandement du sage et délié János Boka, les garçons de la rue Pál auront fort à faire pour tenir l’ennemi à distance de leur terrain de jeu convoité par les « chemises rouges » du Jardin botanique, sous la férule du noble et terrible Feri Áts. Vols de drapeau, missions d’espionnage, exclusion des traîtres, loyautés héroïques et plans de bataille : c’est avec tout le sérieux de l’enfance que les écoliers mènent leur petite guerre qui vaut bien les grandes, surtout quand la mort – qu’on sait inéluctable à la première quinte de toux du courageux petit Nemecsek– s’y invite pour de bon. Les rêves de gloire se voilent alors de mélancolie. Avec la fin de la guerre vient la fin de l’enfance, Boka en est vaguement conscient, tout comme le lecteur qui sait, lui, ce qui suivra quelques années plus tard et viendra doucher l’enthousiasme guerrier de tous ces mini-soldats, cette même grande boucherie qui fauchera Louis Pergaud, auquel on ne peut pas, bien sûr, ne pas penser. Ferenc Molnár, lui, y survivra et s’exilera pour fuir les persécutions nazies. Mort à New York en 1952, il ne survit guère dans les mémoires que pour ce seul livre, exceptionnel, toutefois, de drôlerie et de tendresse ironique. Et qui réalise l’exploit, impossible de nos jours, d’évincer de manière à peu près complète ces créatures étranges, probablement légendaires et à vrai dire un peu inquiétantes qu’on appelle, dit-on, les « filles ».
Yann Fastier