Nûdem Durak avait 22 ans lorsque, en 2015, elle a été arrêtée et condamnée à 19 ans de prison à l’issue d’un procès truqué.
19 ans. Pour rien. Pour avoir osé chanter la liberté dans sa langue marternelle, le kurde.
La jeune chanteuse n’est pas la seule. Ils sont des centaines, des milliers dans son cas, embastillés en Turquie pour leur seule appartenance à cette minorité, écartelée entre quatre États (Turquie, Syrie, Irak, Iran) à la suite des accords Sykes-Picot de 1916, organisant le dépeçage de l’empire Ottoman.
Nûdem Durak n’est pas la seule, mais son cas est exemplaire et la disproportion de sa peine au regard des faits qui lui sont reprochés – notamment son appartenance plus que douteuse au PKK – lui ont valu une campagne de soutien internationale.
Écrivain engagé à l’extrême-gauche, Joseph Andras a pris fait et cause pour elle et pour ce qu’elle représente en termes de lutte. Car l’histoire de Nûdem est indissociable de celle de son peuple. Aussi – puisqu’il ne la verra pas – part-il à sa rencontre à travers ce dernier, et d’abord à travers ses proches : ses parents, ses frères, ses sœurs, à commencer par la mieux aimée, Ceylan, disparue au Rojava syrien après être partie combattre Daech aux côtés des YPJ. Plus à l’aise avec les morts qu’avec les vivants (« Je n’ai jamais écrit que pour bricoler des tombeaux ou redonner vie aux morts qui en ont déjà un »), Andras avance avec prudence et modestie dans cette histoire complexe, visiblement fasciné par l’incroyable vitalité d’un peuple auquel il prête le visage de Nûdem lorsque, en 2015, elle chante, chez elle, à Cizîrê, lors d’un concert (autorisé), en pleine bataille de Kobané.
Cependant, « séparer politique et morale, c’est être sûr de n’entendre rien aux deux » : aussi ne peut-on, parlant des Kurdes, faire l’économie de la première. Le combat de Nûdem n’est pas seulement culturel, il s’inscrit pleinement dans l’évolution historique des positions du PKK, passé presque sans transition d’un marxisme-léninisme intransigeant au « confédéralisme démocratique » prôné par Abdullah Öcalan, le leader emprisonné du PKK, sous l’inspiration des idées libertaires du théoricien américain Murray Bookchin. Il s’agit donc bien de choisir son camp : « condamner le sang sans condamner l’ordre, c’est regarder le monde par l’œil du roi » et le mot « terroriste » n’est qu’un mot creux employé pour délégitimer l’adversaire, comme « communiste » naguère. Andras ne perd donc pas une occasion de fustiger l’hypocrisie de l’Occident qui, d’un côté, persiste à ranger le PKK parmi les mouvements « terroristes » tout en s’alliant avec lui en Syrie pour combattre l’EI, quitte à l’abandonner à la première occasion face à la Turquie.
Du fond de sa prison, Nûdem est parfaitement consciente de ces enjeux. Avide de savoir, volontaire et totalement dévouée à son art, elle ne veut pas être considérée comme une victime mais comme une combattante, pour qui « lutter pour la liberté, c’est comme porter une chemise en feu ».
Alors même que, malade, elle risque de perdre sa voix, elle n’a pas fini de brûler.
Yann Fastier