Ceux qui écoutaient France Culture à la fin des années 80 se souviennent avec émotion d’Agora
où Gilles Lapouge, de sa voix douce et sur un ton tout à fait grand siècle, vous défrichait pour toute une heure les sentiers les moins balisés de tous les exotismes. Lui-même « étonnant voyageur », belle plume et digne successeur des Segalen et des Stevenson, il reste – à presque cent ans – l’un de ces passeurs d’autant plus exceptionnels qu’ils n’ont jamais l’air de vous jeter leurs marottes à la figure. Là où, chez certains, l’aventure n’est que prétexte à se distinguer du commun, Gilles Lapouge, lui, aime partager. C’est donc sans surprise que l’on retrouvera dans cet Atlas la plupart de ses sujets de prédilection : les jardins, bien sûr – puisque le Paradis est d’abord et avant tout un jardin et que tout jardin se veut une image du Paradis, mais aussi les pirates, l’utopie, le voyage... Sous toutes ses formes, le voyage, avec une préférence pour les plus hasardeuses, pour ces navigations au long cours, terrestres ou marines, où la sérendipité fait office de boussole. Car Gilles Lapouge n’est certainement pas de ces modernes aventuriers guidés par GPS, de ces raiders dont le principal titre de gloire est d’avoir tout prévu. Visiteur sans but, il se fait bien volontiers votre guide émerveillé, au fil d’une érudition musarde, tempérée de ce détachement amusé qui pourrait bien être la politesse du cicérone. C’est donc en passant que l’on en apprendra de belles. Que, par exemple, Robert d’Arbrissel, fondateur de l’abbaye de Fontevraud, dormait parmi des jeunes filles nues afin d’éprouver sa chasteté (où serait le mérite, autrement ?) Que Monsieur de Monville, propriétaire et concepteur du désert de Retz, payait un ermite à demeure, « à condition qu’il ne se lave jamais et qu’il ne se coupe ni les ongles ni les cheveux ». Que le tombeau de l’empereur Che Houang-ti, truffé de pièges mortels, n’a jamais été profané jusqu’à ce jour… et, d’une façon générale, tout un tas d’autres choses dont la seule utilité visible est de nourrir les rêves, pour la seule beauté du geste, afin de mieux naviguer « quelques saisons dans la beauté des choses » à l’instar de ces pirates si chers au cœur de l’écrivain.
Depuis le succès mérité de L’atlas des îles abandonnées, de Judith Schalansky (Arthaud, 2010), Les éditions Arthaud et La Martinière se tirent la bourre à grand renfort d’atlas de… dont la nécessité n’est pas toujours bien avérée. Celui-ci fait exception qui, s’il n’apporte rien de vraiment neuf à une œuvre déjà bien constitué, en donne toutefois un assez bon aperçu pour donner envie d’y aller voir de plus près. A l’image, en somme, de l’un de ces jardins où l’univers est enclos tout entier, de l’un de ces petits paradis qu’en inlassable arpenteur de notre désolante Terre de Nod, Gilles Lapouge n’aura cessé de chercher, au fil d’une rêverie infiniment continuée.
Yann Fastier