Le titre français laisse entendre comme une supplique, l’idée que quelqu’un demande à être pour une fois entendu, et que peut-être un dénouement tragique menace d’advenir.
Ce titre est très juste, même s’il n’est pas une traduction de l’original (The Rabbit Hutch) faisant référence à l’endroit où l’action se déroule, soit la Lapinière, surnommée le Clapier, un ensemble d’immeubles de Vacca Vale, ville fictive de l’Indiana, frappée par la désindustrialisation. Dans l’appartement d’une de ces tours vit Blandine Watkins, une jeune femme de 18 ans à la peau diaphane, d’une beauté irréelle, adoratrice d’Hildegarde von Bingen, moniale bénédictine mystique. Blandine a changé de nom et de vie. Elle a fui la famille d’accueil où elle était placée. Elle a fui un amour interdit. Elle a fui le lycée où elle excellait pourtant. Elle a rejoint une colocation composée de trois garçons eux-aussi issus du système de placement familial. En retrait du monde Blandine fascine, ses voisins notamment, dont Joan, fragile employée d’un service de nécrologie.
De cette galerie de personnages – à laquelle se greffe Moses revenu enterrer sa mère star du petit écran – Tess Gunty tire un roman inclassable qui englobe plus que le territoire dans lequel ses personnages évoluent. Passant de l’un à l’autre, d’une période à l’autre de leur existence comme de leur ville, Tess Gunty donne à lire un roman labyrinthique, foisonnant autant que malaisant. Chacun s’observe et livre ses pensées intimes sans vraiment nouer de contacts avec ses semblables. Ils vivent à côté, pas ensemble, comme une métaphore de l’Amérique déshumanisée. Tout semble bizarre, les comportements des protagonistes, incapables de vraiment s’insérer dans une société en pleine déliquescence ; les dialogues qui n’en sont pas tant la vie intérieure prend le pas sur leur volonté de communiquer. Leurs émotions, intenses, ne sont pas partagées comme s’ils n’étaient capables que de dispenser du vide. L’étrange domine, avec des passages d’une poésie glaçante et des épisodes d’une violence inouïe. Rêves et cauchemars s’interposent pour un résultat envoutant, passionnant et aride, où le malaise transpire menant vers une chute que l’on devine inéluctable.
Marianne Peyronnet