Le titre est explicite. Ils sont quatre et ils sont de Manchester.

 

Sécurité. Pour accéder au portail de votre bibliothèque, merci de confirmer que vous n'êtes pas un robot en cliquant ici.

Quatre, de Hulme plus précisément, la proche banlieue, qui occupent les longs après-midis pluvieux à discuter de la seule chose digne d’intérêt (avec un peu les filles) : la musique. Ils ont 17 ans et l’action se déroule en 1989, alors entre les Stone Roses, les Happy Mondays, New Order, The Fall, les Smith… la liste est longue des groupes qui ont su redonner à Manchester ses lettres de noblesse et leur fierté à ces quatre ados, après la déliquescence économique, l’humiliation sociale subies par leurs parents. Les soirées passées dans le pub du quartier commencent à se ressembler quand l’un d’entre eux découvre un lieu unique, à quelques encablures de leur routine, un club gigantesque où la techno explose tous les repaires rythmiques connus jusque-là, où la fête et la danse, inextinguibles sous ecsta, deviennent leur nouvel horizon : l’Haçienda. Dès lors, pour Snob, Slime, Cairo et Paddy, tout change. Madchester leur ouvre les bras.

Changes, tel pourrait être le sous-titre de l’enthousiasmant roman de Matthieu Deprieck. L’auteur concentre l’histoire des quatre potes sur deux petites années, de 89 à 91, durant lesquelles ils se précipitent vers l’âge adulte. Leur adolescence, période de bouleversements intimes et intenses, se confond avec les mutations de leur ville et du monde. Chute du mur de Berlin, émeutes de la Poll Tax qui mèneront à la fin de Thatcher, gangs, bastons et drogues qui commencent à gangréner la vie nocturne mancunienne et notamment celle de leur boîte préférée, les transformations touchent profondément leur environnement et les quatre héros pressentent qu’elles n’auront pas que des conséquences positives. La répression, symbolisée ici par un flic fou de Dieu, guette. C’est la fin d’une certaine vision de Manchester, centre solaire de l’univers, la fin de leur âge d’or, la fin de leurs dix-sept ans.

Multipliant les points de vue, racontant au présent le parcours de ces ados en quête d’ailleurs, rêvant d’un terrain de jeu grand comme le ciel et terrifiés à l’idée que leurs repères s’effondrent, Les 4 de Manchester gagne en intensité au fil des pages, à mesure qu’on apprend à mieux connaître les protagonistes, leurs personnalités propres, leurs divergences. Chacun des quatre, dont les réactions, la relation aux autres dépendent de son milieu familial, social, prend corps, tout à la fois partie d’un groupe et individu, et se construit à travers la bande.

Deprieck ancre son roman dans la réalité. Tangibles, avec leur baggies, les marques des bières qu’ils descendent, les albums qu’ils écoutent, ses ados le sont assurément. Comme est remarquable l’évocation de personnages illustres, tel Tony Wilson, fondateur du label Factory à l’origine de l’Haçienda, ou encore Laurent Garnier alias DJ Pedro.

Drôle et rempli de drames, exaltant, Les 4 de Manchester rejoint la glorieuse liste des grands romans initiatiques, sur l’amitié et la vie qui va, à l’image de Human Punk de John King. Touchée.

Marianne Peyronnet