Un film peut-il vous manquer au point d’en faire un livre ?
Tel pourrait être résumé, de façon lapidaire, le nouveau roman de Patrice Pluyette. Ce serait cependant méconnaître le côté joueur d’un auteur adepte du réemploi qui, après Italo Calvino, entreprend de nous raconter à sa manière le Roland furieux de L’Arioste. Roman monstre plein d’outrances et de fantaisie, flamboyant bouquet final d’un genre dont la Renaissance ne saura bientôt plus que faire avant que Cervantes ne s’en empare pour le transcender, Roland furieux devient ici un film, celui que le narrateur, écrivain commercial à succès et apprenti réalisateur, entreprend un jour de tourner. Tout écrivain, d’une certaine façon, ne se fait-il pas son cinéma en inventant ses histoires ? Et le cinéma, c’est entendu, étant« une affaire de gosse », ce sera donc avec la naïveté assumée d’un gamin encore ébloui par ce qu’il vient de voir qu’il racontera « son » film, tout en se heurtant à la réalité d’un tournage aussi calamiteux qu’ambitieux. Météo peu coopérative, mécène louche, star à caprices et producteur inflexible, tous les obstacles possibles se dresseront sur sa route, qui transforment le film rêvé en improbable nanard de série Z que les mots seuls auront encore une chance de sauver.
Après La Vallée des Dix mille fumées (Seuil, 2018), ingénieux démarquage du récit d’exploration, Patrice Pluyette s’attaque au roman de chevalerie avec une malice non démentie – elle a quelque chose d’un Éric Chevillard ou d’un Jean-Philippe Toussaint des débuts – flanquée tel Don Quichotte d’une mélancolie de bon aloi. N’est-ce pas, au fond, se payer de mots qu’être écrivain ? semble-t-il nous dire, sans craindre de dilapider sa fortune en régalant ses lecteurs de digressions et d’incidentes qui, pour ne pas faire avancer d’un iota cette histoire perdue d’avance, n’en font pas moins généralement le sel de toute littérature digne de ce nom, à savoir celle qui ne se voit pas au cinéma.
Yann Fastier