Après l’obtention de son diplôme en littérature à Liverpool, Sean rentre chez lui, à Belfast.

 

Sécurité. Pour accéder au portail de votre bibliothèque, merci de confirmer que vous n'êtes pas un robot en cliquant ici.

Peut-être n’aurait-il pas dû. Peut-être aurait-il mieux valu qu’il reste loin de sa ville natale, de sa famille, de ses amis et des ennuis. Quand on vient d’un milieu social comme le sien, celui des prolos catholiques, s’y replonger signifie s’y noyer. Entre son frère aîné Anthony, qui boit comme il respire, sa mère qui s’épuise dans son boulot de femme de ménage, et ses potes d’enfance qui enchaînent les soirées festives qui se finissent mal, Belfast est mortifère. Les liens qu’il y a tissés sont des cordes à son cou. Retour au point de départ, rien n’a changé. Impossible de trouver un autre boulot que serveur en boîte de nuit, impossible de payer un loyer dont les prix atteindront bientôt ceux de Dublin, impossible de s’extraire de sa condition. Belfast sent la bière, la misère, la violence quand on est né du mauvais côté de la rue. Quand on est né dans la mauvaise famille, dont le père a bien fait de partir après ce qu’il a fait. Sean semble figé dans un déterminisme digne d’un personnage de Zola, au point de dépasser ce qu’on attend de lui et de commettre un geste presque irréparable, lors d’une soirée où de jeunes nantis moquent ses origines. Seule Mairéad, son amie, son amour, diplômée comme lui, s’élève, l’élève. Elle, a réussi à changer, de fréquentations, d’habitudes, d’accent, et bientôt de ville avec Berlin en ligne de mire, où tout sera possible contrairement à ici.

Retour à Belfast est un roman brutal. En suivant le parcours de Sean à ce moment de sa vie rempli d’incertitudes, Magee dresse le portrait d’une jeunesse en proie aux doutes. C’est dur d’avoir vingt ans et surtout dans la capitale nord-irlandaise où les souvenirs des Troubles sont toujours présents, partout. Murs peints de fresques célébrant chacun des camps, anecdotes de règlements de compte, commémorations des martyrs à la Cause… La violence s’insère dans chaque particule de chaque ruelle et se perpétue. Sean se cherche, nage en eaux troubles, entre deux mondes, entre deux eaux, dans des limbes inconfortables. Lui faut-il rejeter tout ce qu’il est, renier sa famille, ses amis pour se créer un avenir ? La forme, proche du naturalisme, colle au propos. La voix de Sean, omniprésente, fait entendre cette terrible douleur d’envisager l’exil et la séparation d’avec les siens.

C’est aussi un roman d’une grande douceur, d’une beauté foudroyante. La lumière, la joie y sont aussi parties prenantes. A travers l’amour que les personnages éprouvent les uns envers les autres, dénué de tout calcul. A travers leur capacité au pardon, à la solidarité. En plus d’une peinture bouleversante de vérité, à la Ken Loach, Magee propose un hommage à Belfast, aussi honnie qu’aimée, à l’instar d’Edimbourg quand Irvine Welsh s’en saisit. Loin de tout manichéisme, il partage avec nous un moment de la vie d’un homme, avec ses peines et ses plaisirs, une vie directement issue de l’environnement qui la vue naître et pourtant extraordinairement universelle dans les émotions qu’elle explore.

Marianne Peyronnet