Gage Chandler est un auteur spécialisé dans les récits de true crime, réputé pour le sérieux avec lequel il décortique les faits divers.

 

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Pas question pour lui d’en rajouter dans l’abject, la violence des événements passés sur lesquels il enquête se suffit à elle-même. Ce qui l’intéresse, c’est pourquoi les drames ont eu lieu, la personnalité des personnes impliquées, l’enchaînement des circonstances menant aux drames. Quand son éditeur lui indique que la maison du diable, située dans la ville de Milpitas en Californie, connue pour avoir été le siège de meurtres liés au satanisme en 1986, est en vente, il se rend sur place et décide de séjourner sur les lieux du crime. A l’époque, personne n’avait été inculpé mais l’histoire a laissé des traces dans l’imaginaire collectif. Dans cette boutique porno abandonnée avec son stock de cassettes et autres accessoires, la propriétaire et un futur acheteur avaient été retrouvés le crâne défoncé, au milieu d’une mise en scène macabre laissant penser à un rituel célébrant le démon. Quatre adolescents avaient été entendus sans être poursuivis. Chandler se lance frénétiquement à la recherche d’éléments concernant cette affaire.

Dans une course éperdue pour connaître le fin mot de l’intrigue, Gage s’immerge à fond dans ses recherches. Anciens articles de presse, procès-verbaux, rapports de police, interrogatoires des proches des victimes et des suspects, les pistes sont multiples et le dédale des possibilités s’avère infiniment vaste. Utilisant les ressorts du roman noir, Darnielle nous entraîne à la suite de son enquêteur bien au-delà d’un roman à énigme. Savoir qui a commis ces crimes atroces devient une seule des clés de cette œuvre labyrinthique qui pousse les murs bien au-delà de la sinistre boutique. C’est autant le portrait d’une jeunesse désœuvrée ou en quête de frissons que le décor d’une certaine Amérique qui nous sont proposés à travers les yeux d’un Gage de plus en plus impliqué, de plus en plus désorienté. Le livre devient le miroir de son obsession, étouffant, comme si chaque tunnel découvert ne menait qu’à une impasse, un goulot d’étranglement conduisant immanquablement à Milpitas. Son propre passé le rattrape et les questionnements quant à la moralité de ses écrits, notamment le livre qui l’a fait connaître, La sorcière blanche de Morrobay, surgissent de façon déroutante, inattendue. Mythes, rumeurs s’imbriquent à différentes périodes dessinant les successives terreurs de l’Amérique. La description des mœurs locales, les analyses psychologiques des innombrables points de vue sont auscultées au microscope avec une acuité rarement égalée.

La maison du diable est un roman d’une grande complexité et pourtant d’une lecture étonnamment aisée, qui pose des questions sur l’intime, les marges, dérangeant notre vision de la morale et du socialement acceptable. Avec son alternance de passages d’une tendresse bouleversante et d’une violence inouïe, ses va-et-vient entre divers récits, les interrogations qu’il suscite quant à notre capacité à juger ou notre fascination pour le sordide, il se permet une réflexion sur le mensonge et la création littéraire. Il n’en a pas fini de nous émouvoir et de nous perturber.

Marianne Peyronnet