Son ami Junger est bien pratique.

 

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Il a toutes les utilités, à commencer par celle de sparring-partner de la centaine d’histoires qui composent ce tordant petit recueil du multicarte toma e, à la fois musicien, graphiste et écrivain. Payant de sa personne, il n’hésite d’ailleurs pas à se mettre en situation, de la plus ordinaire (« Nous prenons un café dans un café avec mon ami Junger ») à la plus incongrue (« Mon ami Junger s’est fait cloner »), pour en extraire un même jus d’absurdité servi sans délayer en quelques lignes, rarement plus de deux pages. Nouveaux Laurel et Hardy, Je et « mon ami Junger » forment une vieille paire d’amis par habitude, dont le seul trait d’union reste une existence désespérément plate, entrecoupée d’engueulades définitives et de projets aussi foireux que grandioses. On en appellerait à Beckett, nonobstant la satire : car de « manifestation contre la méchanceté » en « site internet d’amour où des gens se parlent parce que leurs photos leurs plaisent », toma e fait aussi le portrait d’une époque ravie d’elle-même et de se payer de mots. Les deux zèbres chopent les tics du temps plus vite que les filles : ainsi « mon ami Junger » se lance-t-il tour à tour dans le complotisme, les sectes, l’hygiène ou l’art contemporain, tandis que le narrateur a parfois des observations plus fines que prévu : « (…) si je supporte qu’on ne m’aime pas, je trouve absolument intolérable qu’on ne m’aime plus ». On n’est donc pas que dans la grosse déconne et l’éditeur en appelle d’ailleurs à Jacques le fataliste. La référence est écrasante : peu probable en effet que Mon ami Junger devienne un classique et plus qu’à Diderot, on pense à Fabcaro, à l’hilarant Francis, blaireau farceur de Claire et Jake Raynal ou bien aux Pierrick et Jean-Loup de Pierrick Sorin. Que du bon, donc, et si quelques pages étaient certes dispensables, le recueil ne s’en achève pas moins sur la table des matières la plus drôle de l’histoire des tables des matières.

Yann Fastier