« Cavalière du Tsar »… un titre peu vendeur par les temps qui courent.

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Cette curieuse autobiographie, parue en 1836 sous les auspices de Pouchkine, fait pourtant bel et bien figure de classique mineur de la littérature russe, dont il signe en quelque sorte la fin de la période romantique. Russe par son père, Ukrainienne par son père, Nadejda Dourova (1783-1866) fut avant tout fille d’officier. Élevée dans les camps, les ordonnances de son père lui servant de nounou, la jeune Nadejda considéra très tôt l’état militaire comme le seul qui lui convenait. Intrépide, aventureuse et casse-cou, elle exècre les occupations « féminines » où voudrait la cantonner une mère trop sévère qui, lasse d’affronter ce petit démon, finira par l’envoyer chez ses grands-parents ukrainiens, où elle se sentira provisoirement revivre. Provisoirement : à 16 ans, rattrapée par les convenances, Nadejda se coupe les cheveux, s’habille en garçon et, au galop de son fidèle Alkide,  court s’engager dans l’armée sous un faux nom. Elle y sera d’abord uhlan, puis hussard, cavalière quoi qu’il en soit, prendra part à la bataille de Friedland (1807) où elle se distinguera par sa bravoure, puis à celle de la Moskova (1812) avant de démissionner, blessée, malade et pour s’occuper de son vieux père. Entre-temps, ses proches l’ayant retrouvée, son identité dévoilée, elle aura été reçue par le Tsar Alexandre Ier, qui lui accordera sa protection personnelle et fera d’elle la première femme officier reconnue comme telle de l’armée russe. Voilà pour la légende. L’Histoire, toujours un peu rabat-joie, ne manquera pas de la retenir un peu par les basques pour préciser qu’en réalité, Nadejda ne s’est pas enfuie à 16 ans, mais à 24, abandonnant derrière elle un fils et un mari dont elle ne dit absolument rien dans une autobiographie qui, du coup, prend un peu des airs de plaisante autofiction. Hors de brefs épisodes de bataille dont les enjeux lui échappent largement, la vie militaire y semble un bal permanent où, la taille bien prise dans de seyants uniformes, de jeunes et beaux officiers font tourner les têtes de leurs jolies hôtesses. « Alexandrov » n’y manque d’ailleurs pas qui, trouble réel ou rouerie passagère, se laissera chastement courtiser par une jeune Polonaise mal mariée et manifestement amoureuse. Sans doute impubliable à l’époque, cette séduisante confusion des genres reste toutefois à lire entre les lignes, tant Nadejda semble vouloir avant tout tout oublier de son sexe, quitte à renoncer en apparence à toute vie sexuelle au nom d’une liberté perpétuellement refusée aux filles : « Vous, jeunes filles de mon âge, vous seules pouvez comprendre mon ravissement. Vous seules pouvez connaître le prix de mon bonheur ! Vous, dont chaque pas est compté, vous à qui l’on défend de parcourir deux toises sans surveillance ni escorte, qui, du berceau à la tombe, vous trouvez en perpétuelle dépendance et sous perpétuelle protection, Dieu sait pour vous défendre de qui ou de quoi ! » éclate-t-elle en une page émouvante dont la modernité saute malheureusement encore aux yeux à l’heure où, quelles que soient les victoires apparemment acquises, le retour de bâton ne se fait guère attendre. Alors, à cheval, les filles, et sabre au clair !

Yann Fastier