L’œil mi-clos dans la pénombre propice de sa garçonnière, tapi dans les effluves musqués de rares encens exotiques

 

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et drapé dans sa robe de chambre en soie sauvage, le connaisseur guettait depuis longtemps une intégrale un peu classe d’Ombre et lumière, de Parris Quinn, de sulfureux renom. Soyons honnêtes, le connaisseur est un peu déçu, voire même tenté de rallumer les néons. S’il n’est pas de basse pornographie, il en est de banale et, finalement, l’objet tant convoité n’expose rien de beaucoup plus piquant qu’un film de boule assez moyen. Battu et rebattu de secrétaire soumise en avocate luxurieuse, le fantasme a certes les fesses rouges mais comme on est en noir et blanc, ça ne se voit pas trop. La prose fait de la cellulite et l’adjectif déferle à longs jets brûlants, généreusement tartinés en épais grumeaux sur le visage extatique de trop gourmandes héroïnes. Quant au dessin – crayon noir et mine de plomb – son réalisme photographique un peu surfait n’a pas, dans un style assez proche, la solidité bien montée d’un Miles Hyman ni les noires profondeurs d’un Jean-Claude Claeys.

Reste une forme, assez unique et qui, au-delà de la déception, laisse le sentiment d’être passé tout près de quelque chose. Proche de la bande dessinée sans en être tout à fait, relevant tout autant du roman-photo que de la nouvelle, Ombre et lumière est avant tout remarquable par son économie narrative. Dans sa préface, Parris Quinn livre son mode opératoire : après avoir écrit un synopsis, il convoque ses acteurs, qui joueront les scènes voulues tandis qu’il prend de multiples photos, sous tous les angles. Ces photos, recadrées, découpées, serviront ensuite au dessin dans une logique de montage où l’équilibre de la page est pensé comme un tout, les images s’intégrant au texte ou bien prenant en charge le récit, au gré de quelques cases muettes ou d’une unique illustration. Ce faisant, s’il ne l’invente pas tout à fait (Eric Stanton, dans les années 60, nageait un peu dans les mêmes eaux), il donne au récit érotique une forme particulièrement adaptée à son côté tout en tension. Ainsi le texte, plus apte à exposer la situation, voire à gérer les dialogues, peut-il laisser place à l’image quand il s’agit de passer aux actes et de les décrire, tout en maintenant, dans un jeu permanent de voilement / dévoilement, une certaine ouverture au récit. Cette ouverture, précisément, que ni le cinéma ni le roman-photo (astreints à tout montrer ou bien à se ridiculiser dans un « érotisme » toujours surjoué), ni même la prose (quand elle s’égare en descriptions laborieuses ou bien, oubliant son objet, se veut d’abord poème) n’atteignent aussi bien que la bande dessinée, forme rêvée du récit érotique, du moins quand elle est d’abord pensée. Cette perfection de la forme, Parris Quinn en a certes l’intuition mais il ne la pense qu’à moitié, faute, peut-être d’en avoir les moyens : écrivain médiocre et dessinateur sans talent, il lui faut, malgré les apparences, renoncer à prendre rang parmi les maîtres – les Pichard, les Crépax – pour se contenter d’une place enviable parmi les épigones et les tâcherons.

Post-scriptum : à la fin de sa préface, Quinn confie recruter ses acteurs parmi ses amis et non chez les professionnels. Cela laisse rêveur. Voyons… où est passé ce fichu carnet d’adresses ?

Yann Fastier