Parmi toutes les fariboles colportées à partir des années 60 par Le Matin des magiciens de Pauwels et Bergier,
celle d’une origine occulte du nazisme devait connaître une longue postérité, des tenants plus ou moins sincères de « l’histoire mystérieuse » aux modernes complotistes. S’il est vrai que le Parti National-Socialiste prend naissance dans un terreau « Völkisch » (ethno-nationaliste, pour faire court) lui-même friand d’ésotérisme néo-païen, il n’en est qu’un des nombreux groupuscules, au même titre que la fameuse Société Thulé censée tirer les ficelles de la marionnette Hitler, et qui ne fut jamais qu’une modeste association d’agités du bocal, propageant à grand renfort de conférences et de brochures leurs théories racialistes et antisémites, vaguement assaisonnées de mysticisme nordique. De tous les principaux dignitaires nazis, seul Himmler se passionnait réellement pour ces élucubrations et encore dut-il y mettre assez vite une sourdine sous peine de panpan-tutu. On est donc loin de l’Ordre noir, de la chevalerie SS et autres théories de la Glace éternelle telles qu’elles furent ensuite répandues, notamment en France, par les Saint-Loup et autres Jean Mabire, néo-nazis assumés, afin de donner un lustre supplémentaire et une aura de mystère à leur idéologie préférée.
Fruit d’un classique « bricolage » mythologique, le néopaganisme germanique naît dans le sillage du Romantisme, se divise en diverses branches pendant tout le XIXe siècle, se développe sous l’influence du syncrétisme théosophique et du wagnérisme et, enfin, s’épanouit dans le milieu « Völkisch » ultranationaliste, né de la défaite de 1918 et de l’écroulement du Reich. De là à en déduire une nature intrinsèquement néo-païenne du régime nazi, il y a un pas que n’hésitèrent jamais à franchir les émules de Bergier-Pauwels, ouvrant la porte à tous les délires, des plus innocents (les univers d’Indiana Jones ou de Hellboy en sont directement issus) aux plus pernicieux, infusant les extrêmes-droites contemporaines, mais aussi, de façon plus large, la nébuleuse complotiste.
Dans ce contexte le travail démystificateur de Stéphane François revêt une importance cruciale. Spécialiste de l’extrême-droite dans ses aspects les plus radicaux, il plonge ici, les nerfs solides et l’estomac bien accroché, au cœur d’une matière assez peu ragoûtante et remet les choses à leur place avec toute la rigueur de l’historien. Une rigueur que ne reconnaîtront certainement pas les plus acharnés parmi les conspirationnistes, qui n’y verront qu’une preuve supplémentaire d’un plus vaste complot. Qu’importe, il fallait que cette généalogie fût faite, et bien faite, par un véritable chercheur, le scepticisme – c’est bien connu – étant chose trop sérieuse pour être laissée aux « sceptiques ».
Yann Fastier