Il arrive parfois que l’exofiction fictionne un peu plus que l’exige la norme qui prévaut un peu partout dans l’édition.

 

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Quand elle le fait sous les auspices de Borges, de Daumal et de Perec, on peut s’attendre à ce qu’elle dévie de la sage biographie romancée pour s’aventurer dans quelque jardin des sentiers qui bifurquent. De fait, c’est une authentique vie parallèle qu’attribue l’auteur – quel fût-il – de cette Expe(r)dition au « marin de qualité » que fut le navigateur Vitus Jonassen Bering (1681-1741), découvreur controversé du détroit qui porte son nom. Arpenteur d’indécidables géographies sans cesse remodelées par les glaces et le désarroi d’instruments soumis à l’influence des pôles, pourquoi devrait-il après tout se soumettre à celle de l’Histoire ? Bering n’est donc pas mort au Kamtchatka en 1741 mais reparaît quelque temps plus tard dans le grand nord américain, porteur d’un récit qui le propulse en pleine légende, où soudain tout s’emmêle : une nouvelle expédition le verra croiser la route du capitaine Cook, de Bougainville et, pourquoi pas, du défunt La Pérouse pour s’achever, ayant métaphysiquement atteint le bout du monde, dans une sorte d’ataraxie que ne partagera toutefois peut-être pas le lecteur. Yves Boudier prévenait pourtant dans sa préface : « (…) il est rare de présenter un livre en affirmant qu’il est difficilement lisible ». La coquetterie n’en est pas une : sans qu’on puisse rien imputer à l’écriture, lumineuse, on ne se défera pas du sentiment d’avoir à chasser l’orchidée dans un champ de mines. Ployant sous les références, on redoute la chausse-trappe, le clin d’œil inaperçu, le truc oulipien qu’on n’aura pas vu venir et qui dénoncera l’inculte benêt sommeillant en tout critique. Qui, pour le coup, en deviendrait soupçonneux : pourquoi donc attribuer l’ouvrage à cet improbable Martin Saint Hilaire quand la supercherie ne tient pas deux lignes à la lecture ? Une ruse, encore ?

Yann Fastier