Vingt ans après la mort de Benjamin Bruder, Alexandre Broch reçoit une lettre.
Bruder, écrivain sulfureux et révolutionnaire, connut la gloire pour deux livres de poésie noire et désespérée, avant de fonder un groupe politique nihiliste et de se suicider au faîte de sa gloire. Il avait abordé Alexandre Broch, un jour à la fin d’un cours sur Rimbaud, Lautréamont et les Surréalistes. Il était plein de questions mais peu intéressé par les réponses, véhément et persuadé d’un avènement de la révolution, d’un pouvoir supérieur du langage, capable selon lui de « dynamiter le monde ». S’en était suivie une brève relation, moins qu’amicale, respectueuse et un peu inquiète, perturbée par les pressentiments d’Hélène, la femme de Broch, qui considérait Bruder comme un individu particulièrement dangereux.
Aujourd’hui Hélène est morte, Alexandre, retraité, miné par la solitude et le désespoir, fatigué par la pluie incessante qui noie le paysage, reçoit une lettre du sous-directeur de la grande bibliothèque d’état : par voie testamentaire, Benjamin Bruder avait émis le souhait que, vingt ans après sa mort, tous ses écrits soient consultables par son « ami » Broch. Le délai de vingt ans étant écoulé, selon les vœux du donateur, les manuscrits sont désormais disponibles. Le sous-directeur rappelle que, selon la volonté du poète, les écrits ne doivent pas quitter la bibliothèque et ne sont consultables que par M. Broch en personne.
Broch se serait bien passé d’un nouveau problème, mais voilà, la culpabilité le taraude, il n’a jamais pu se défaire du sentiment d’avoir abandonné le poète, et il brûle de savoir enfin ce qui a poussé Bruder au suicide.
Il accepte alors de se rendre dans la bibliothèque, on lui attribue une cellule de lecture, il semble être seul dans l’aile du gigantesque bâtiment, il ne croise que les deux bibliothécaires qui lui apportent les manuscrits, distantes et désagréables, pointilleuses ou agressives. Broch ne parvient pas à rencontrer le directeur, et peu à peu il réalise à quel point cette bibliothèque est étrange, il commence à l’arpenter et à y découvrir des endroits interdits, il décide de se laisser enfermer à l’intérieur, et la Bibliothèque devient un personnage à part entière de ce roman tout aussi étrange que ses protagonistes, où l’importance du corpus de manuscrits fait écho au gigantisme de la bibliothèque.
A l’extérieur on ne voie que des pigeons, la pluie continue à tomber, puis la neige...
Lionel Bussière