Qui dit Limoges dit porcelaine et qui dit porcelaine dit éléphant.

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L’éléphant du Limoges ne doit cependant pas nous cacher le reste du magasin d’usine : la céramique, ce n’est pas que Limoges, c’est aussi le Berry, et depuis longtemps. Depuis, notamment, les années 40 et l’installation de quelques doux rêveurs à La Borne, village berrichon dont l’activité potière, après avoir été florissante, connaissait alors un lent déclin. Jacqueline et Jean Lerat furent de ceux-là, aux côtés de Paul Beyer, de Vassil Ivanoff, d’Elisabeth Joulia ou du regretté  Yves Mohy… Tous, d’une manière ou d’une autre, devaient contribuer à faire sortir la céramique du registre des seuls arts décoratifs pour la faire émerger comme art plastique à part entière, proche parent de la sculpture. On l’oublie trop souvent, les années 40-50 furent une époque de profond renouveau pour l’art en France, qui vit notamment une réévaluation de l’art populaire et un certain retour à la simplicité «romane », dans le sillage, entre autres, de Jean Giono. C’est dans ce mouvement que s’inscrivent tout d’abord les Lerat. Leurs grès s’inspirent des céramiques populaires du Berry, de l’œuvre de Marie et Jean-Sébastien Talbot en particulier. Sans être spécialement portés sur l’eau bénite, ils reçoivent des commandes de l’Eglise (c’était l’heureux temps où, sous l’impulsion des bons pères Couturier et Régamey, l’art sacré connaît une embellie certaine), puis s’installent à Bourges où ils deviennent professeurs à l’Ecole Nationale des Beaux-arts, Jacqueline un peu plus longtemps que Jean, puisque ce dernier meurt en 1992. Peu à peu leur art – son art – se détache de tout ce qu’il pouvait conserver d’utilitaire et de figuratif pour se rapprocher de la sculpture. Une sculpture délibérément abstraite, attentive aux effets de masse, de couleur, de texture et qui, si elle n’apporte rien de révolutionnaire sur le plan conceptuel, peut néanmoins se lire comme une façon de laisser s’exprimer la terre en intervenant le moins possible à titre individuel. Il s’agira plutôt dès lors de s’effacer plutôt que de s’imposer, de travailler avec la terre plutôt que de la travailler, selon une optique bachelardienne où l’activité céramique se fait « rêverie de la volonté » et, d’une certaine façon, n’émerge de la nature que pour mieux y retourner, transformée, transcendée, ayant trouvé sa forme.

D’aucuns pourront cependant trouver qu’il ne s’agit là que d’une des multiples voies que peut emprunter la céramique. Et, certes, une fois sortie des cruches et des assiettes, tout ou presque devient possible. Presque, car ce qu’il y a de bien avec la céramique, c’est qu’il y est difficile, voire imprudent, de se payer de mots. La matière est là, avec ses pièges et ses exigences : impossible de tricher et c’est ce qui rend souvent la céramique contemporaine bien plus vivante que le reste d’une création dont certaine mauvaise rhétorique est devenue le terrain de jeu préféré à mesure que baissait le niveau d’exigence technique. Rien de tout cela avec la céramique et le très vaste panorama international déroulé par ce second livre est là pour le prouver. Toutes les tendances y sont représentées, des plus figuratives aux plus abstraites et formelles. Si pour certains artistes (Alessandro Gallo, Kim Simonsson, Anna Barlow, Tip Toland…) la céramique reste avant tout un moyen, dont la très grande plasticité permet tous les effets, y compris les plus réalistes, d’autres (Marion Richomme, Marten Stuer, Marianne Abergel, Jacques Kaufmann, Gaëlle Guingant-Convert…) l’envisagent plutôt comme une fin en soi, dans une approche d’exploration de la matière même et de ses possibles. De même, quand certains vont avoir recours aux technologies les plus avancées, jusqu’aux imprimantes 3D, pour produire des pièces techniquement impossibles par les moyens traditionnels, d’autres (Lauren Nauman…) vont privilégier, voire provoquer les accidents, construisant de fragiles structures que viendra modifier la cuisson de manière aléatoire et surprenante. Dans leur très grande diversité, ces artistes ont néanmoins en commun un usage réfléchi de la céramique et de la porcelaine. Beaucoup n’ont pas commencé par suivre de formation spécifique et n’y sont venus qu’assez tard, parfois même par hasard. Ce dernier fait bien les choses, c’est bien connu, et l’on n’en doutera plus à la lecture de ce beau gros livre, avec le regret, toutefois, que si peu de ces artistes, au vu de leur pedigree, aient  - inexplicablement - la moindre connexion avec Limoges.

Ceux qui voudraient approfondir pourront le faire en allant bien sûr à La Borne, visiter non seulement les nombreux ateliers du village mais aussi  le Centre Céramique Contemporaine (https://www.laborne.org) ou bien, à Limoges, les très belles expositions annuelles proposées par la Fondation Bernardaud (https://www.bernardaud.com).

Yann Fastier