Anne-Marie est belle, elle est riche, elle est élégante.

 

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Elle a de beaux enfants, un mari anglais pourvu d’un très bon poste de dirigeant dans l’industrie automobile : Anne-Marie a tout pour être heureuse et l’est sans conteste. Alors quoi ? Rien. L’espace de quelques jours, profitant d’un déplacement de son époux, elle le trompe avec un jeune chanteur espagnol, joue un instant avec l’idée de tout perdre et, bien sûr, ne perdra rien sinon, peut-être, quelques illusions. 

Étrange schizophrénie que celle de Jean Kanapa, dirigeant historique du Parti Communiste Français, connu pour son orthodoxie stalinienne, et par ailleurs capable de commettre des romans comme celui-ci, loin du jdanovisme qu’il défendait âprement pour La Nouvelle critique, dont il fut le directeur de 1948 à 1958. Loin ? Peut-être pas. Car s’il dépeint sans le caricaturer un milieu bourgeois qu’il connaissait bien pour l’avoir fréquenté dans sa jeunesse de fils de banquier, il ne lui accorde pas non plus le bénéfice du doute : ce monde lisse où les femmes ont « des gestes parfumés » se révèle en réalité profondément lézardé. Car tandis que sa femme se rejoue Madame Bovary, Phil, lui, affronte une grève en Angleterre. Grève perdue par les ouvriers mais qui lui laisse néanmoins un goût amer lorsque, lucide, il explique à l’un de ses collègues : « (…) nous gagnons, c’est entendu, chaque fois nous gagnons, mais en même temps nous laissons quelque chose dans la bataille ». Intuition d’autant plus juste que nous sommes en 1962, quelques années à peine avant certain mois de mai qui verra le Capital vaciller sur ses bases, miné par ses contradictions. Des contradictions que pourrait incarner ici Hélène, la plus jeune fille du couple, dont elle reflète à la fois la mauvaise conscience et le dépassement par son obstination à ne pas jouer le jeu auquel elle est assignée, en bon archétype des futurs gauchistes.

Une réédition pertinente, donc, en dépit d’une inexplicable préface de Beigbeder.

Yann Fastier