S’il est une chose, au moins, que les hommes de lettres ont en commun avec les repris de justice, c’est que la récidive n’est jamais loin.

 

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Chroniqueur judiciaire dans le civil, Dimitri Rouchon-Borie connaît la chanson et c’est peut-être pour cela que, quelques mois à peine après Le Démon de la Colline aux Loups – dont on disait ici même tout le bien qu’on en pensait – il fait paraître aujourd’hui cette Ritournelle en parfait décalage avec son contenu. Sous ce titre aimablement musical, en effet, se cache une histoire sordide, l’un des ces faits-divers terrifiants dont la réalité garde jalousement le secret, consentant seulement à ce que les romanciers s’en inspirent pour, parfois, les ramollir. Ici, rien d’émollient : les faits sont là, dans toute leur nudité crue, dans leur absurde mais inexorable succession qui, d’un minable vol de carte de crédit, les fera dégénérer en drame sanglant.

Soit, donc, deux grosses brutes et une petite frappe, tous trois dans le box des accusés. Pour avoir dérobé une carte American Express à son neveu, voyou notoire, monsieur Ka enclenche une spirale de violence dont il est loin de mesurer les effets puisqu’elle le mènera, lui et ses deux comparses, bourrés de poudre et d’alcool, à torturer à mort un petit dealer dont le seul tort aura été de se trouver sur leur chemin.

Réécrit à partir d’une affaire réelle précédemment chroniquée dans Au tribunal (La Manufacture de livres, 2018), le récit alterne scènes de procès, rendues au plus près du théâtre judiciaire avec tout l’art du chroniqueur, et reconstructions « romancées » du drame, dont on voit peu à peu s’enclencher la mécanique fatale. Car il y a quelque chose de terriblement, d’horriblement mécanique dans ce déchaînement de violence dont les protagonistes ne maîtrisent rien, à commencer par eux-mêmes. La violence – excessive, démesurée – était déjà présente dans Le Démon de la Colline aux Loups, mais c’était une violence en quelque sorte excusable et dont Duke, le possédé, était la première victime, fondamentalement innocente et jamais complaisante. Dimitri Rouchon-Borie lui prêtait alors son concours et ses mots en manière d’exorcisme. Les mots, il se les garde ici mais n’en fait pas moins bon usage, à coup de phrases courtes et qui font mouche, du neveu truand « plissant les yeux pour faire mauvais chat » à cet autre dont les dents « courent après le steak ». Et si, dans son livre précédent, il cherchait à sortir de l’horreur par le haut, il n’en est rien dans Ritournelle, où l’abrutissement règne sans partage, où les assassins se montrent d’une bêtise et d’une méchanceté librement consenties, pourrait-on dire. Une bassesse qu’il ne s’agira toutefois pas de juger (on ne saura rien de l’issue du procès), ni même d’essayer de comprendre, mais d’affronter en face et comme à mains nues afin, peut-être, de « faire comprendre ce qu’il en coûte de rester à l’horizontalité des drames, en l’absence de toute lumière ».

Yann Fastier