Sous ce titre légèrement abusif se cache en réalité un recueil de contributions de Jean Meckert à quelques journaux,
principalement Essor, éphémère organe de l’Organisation Civile et Militaire des Jeunes, issue de la Résistance (1945-1946). Abusif, car lesdits anarchistes ne forment que la portion congrue d’une série de reportages qui, pour la plupart, ont plutôt pour objet les difficultés de l’après-guerre et les désillusions qu’elles entraînent. Ainsi de ce jeune couple, victime de la crise du logement, de cette petite ouvrière, renvoyée sans préavis d’une confiserie aux allures de bagne ou bien encore de ces banlieusards, pris au piège de leur pavillon et coupés de tout, se ruinant la santé en trajets interminables. Sans craindre de mouiller sa chemise, l’apprenti journaliste va jusqu’à se faire embaucher dans l’équipe de nettoyage d’une grande banque, où il découvre non sans stupeur que ces « auxiliaires temporaires du service technique » sont pour la plupart des employés de cette même banque, adeptes des heures supplémentaires et, surtout, du marché noir.
Curieux destin littéraire, quoi qu’il en soit, que celui de Jean Meckert (1910-1995), prolétarien gallimardisé, aussi vite oublié qu’il fut un temps fêté pour ses premiers ouvrages (Les coups, L’homme au marteau…) au point, longtemps, de ne plus se faire connaître que sous le nom de Jean Amila, sous lequel il marqua durablement la Série Noire (Le Boucher des Hurlus, La Lune d’Omaha…) Depuis le début des années 2000, cependant, les éditions Joëlle Losfeld ont entrepris d’inverser la tendance en rééditant avec succès sa « littérature blanche », complétée comme il se doit par quelques fouineurs émérites, amateurs de raretés plus ou moins dispensables. En l’occurrence, si Meckert n’a pas, loin s’en faut, la tendre ironie du Calet des Deux bouts, sa sincérité un peu âpre, parfois brutale, donne encore à ces reportages un intérêt allant au-delà du seul documentaire.
Quant aux anarchistes, ils n’ont pas changé, les bougres.
Yann Fastier