Les Aspics en question ne sont pas des serpents mais mieux vaudrait peut-être tomber sur un nid de vipères que sur ces cinq-là
– le père et ses quatre grands fils – pas forcément plus malins mais beaucoup mieux armés. Leur épouse et mère étant décédée sur un ultime et tendre « Tu n’es qu’une merde » à l’adresse de son mari, cela fait déjà plusieurs années qu’ils macèrent dans leur inaccessible recoin de montagne croate, lorsque le curé, en visite prudente, leur fait poliment remarquer qu’une présence féminine, à la fin, ne saurait nuire à leur ménage. Ni une ni deux, l’aîné descend en ville, à la recherche de certaine serveuse qui, quinze ans auparavant… Raconter la suite nous mènerait trop loin. Qu’il suffise de dire qu’il est, en littérature, de ces moments trop rares où l’on perd de vue les rivages balisés d’une cocasserie de bon ton pour entrer carrément dans les eaux agitées du bien fendard. On a beau chercher, nul qualificatif ne saurait mieux convenir à cette pétaradante et balkanique fantasia chez les ploucs, menée de main de maître et kalachnikov dans l’autre par le journaliste et écrivain Ante Tomić, né en 1970 et traduit ici pour la première fois. On l’échangerait volontiers contre une bonne vingtaine de nos écrivains, même nobélisables, tant on lui sait gré d’avoir su tout simplement nous faire marrer, sans prétention mais sans temps morts, avec un sens de la dérision qui, semble-t-il, lui a valu non seulement plusieurs agressions en Croatie mais aussi de se faire sermonner par le ministre de la Culture d’un pays qui, s’il n’a pas encore le national socialiste, l’a du moins fort chatouilleux. À l’instar, sans doute, de Goran Ciboulette, chef de la police locale, connu et redouté pour sa manière de punir le moindre écart : « Une faute, et il coupait une valseuse. Deuxième faute, deuxième valseuse. En cas de troisième faute, il supprimait les frais de repas de la fiche de salaire. »
Yann Fastier