Certains écrivains, dit-on, font toujours le même livre.
Ne cessant de remettre l’ouvrage sur le métier, inlassablement ils reviennent aux mêmes thèmes, aux mêmes décors, comme si le livre n’était au fond jamais terminé, comme si le mot « fin » n’était jamais tout à fait le mot de la fin. L’esprit rôdant dans l’escalier remonte les marches, il n’avait pas tout dit et le livre se fait alors variation, au sens musical du terme, ouvrant sur une forme d’infini de l’épure. Dominique Fabre est de ceux-là qui, depuis Moi aussi un jour j’irai loin et Ma vie d’Edgar, n’aura cessé de tourner autour de la même jeunesse banlieusarde, d’arpenter les mêmes lieux, encore et encore, entre Asnières, Bécon-les-Bruyères et la gare Saint-Lazare, n’occupant sur cette terre qu’une toute petite surface dont la profondeur, cependant, n’en finit pas d’étonner. Peu importe le prétexte (ici, les retrouvailles avec un ami perdu de vue, qui a failli mourir), on revient aux romans de Dominique Fabre avec un plaisir indéfinissable, fait de joie sincère et de mélancolie. « On est sans doute de quelque part au plaisir qu’on prend à se souvenir de ce qui a changé au fil du temps » fait-il dire quelque part à son narrateur. Comment, alors, ne pas se sentir pleinement, de cette œuvre qui nous accompagne, mine de rien, depuis tant d’années ? Sans doute Dominique Fabre aurait-il un petit sourire gêné si on lui avouait trouver quelque chose de proustien à son entreprise. Il y a pourtant bien une forme de recherche du temps perdu sous cette prose toute simple en apparence, d’une évidence qui, peut-être, est le propre des plus grands stylistes et le rapprocherait plutôt d’un Emmanuel Bove pour le laconisme et le sens de l’observation. Mais comme on ne lit pas Proust sans retrouver des goûts, des parfums qu’on croyait enfuis, on ne lit pas Fabre sans se retourner un peu sur soi, sans apitoiement toutefois mais avec l’étonnement fugace et presque soulagé d’en être déjà là et la force renouvelée d’avancer encore, au moins jusqu’au prochain arrêt.
Yann Fastier
PS : on ne cite pas ici pour rien Emmanuel Bove, qui vécut à Bécon et en dressa pour la collection « Portrait de la France » chez Émile-Paul, le portrait le plus juste qu’on puisse trouver.