La France, l’air est connu, « ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».
Encore, il y a seulement quelques années, tenait-elle à en prendre sa part. Ce temps est révolu, l’actualité nous le confirme chaque jour un peu plus, de reportages accablants en statistiques édifiantes. Toute générosité, même autoproclamée, semble avoir déserté l’hexagone, sous les coups de boutoir d’une xénophobie de plus en plus assumée. Venant après beaucoup d’autres, ce n’est pas ce livre qui le démentira. Fruit de la collaboration entre une chercheure d’origine iranienne et un jeune dessinateur de bande dessinée, il s’intéresse à la ZAPI, dont le sigle, contrairement aux apparences, ne cache rien de bien joyeux puisqu’il s’agit de la « Zone d’attente pour personnes en instance », véritable nasse où, tandis que vous prenez l’avion pour les Seychelles, des gens se trouvent retenus, soupçonnés d’être en situation irrégulière. Entrecoupée de documents, la bande dessinée suit le destin de plusieurs de ces exilés, victimes d’une administration sans âme après l’avoir été des trafiquants d’êtres humains. Ainsi, Kadiatou, Guinéenne voulant rejoindre sa cousine en France, est-elle déroutée vers Kiev, où elle sera vendue par son passeur et violée. Elle sera renvoyée en Ukraine avant même d’avoir vu sa cousine. Yoones, paysan palestinien de Cisjordanie, a vu ses terres confisquées par l’armée israélienne. Il n’a plus rien, a dû passer par le Vietnam pour arriver en France. Il y sera renvoyé avant d’avoir épuisé son dernier recours. Jana, Irakienne, venue avec ses deux enfants rejoindre son mari réfugié politique en Allemagne, sera renvoyée au Brésil, d’où elle est venue pour sa neuvième tentative. Inutile d’en dire plus, l’histoire est connue, c’est celle, kafkaïenne, de la plupart des réfugiés, des « migrants » comme on les appelle pudiquement, qui se voient refoulés, remis dans l’avion manu militari et réexpédiés sans états d’âme par des fonctionnaires blindés de préjugés et de certitudes. Ceux qui ne se sont pas fait choper à l’aéroport finiront en centre de rétention, dans les campements ou dans les « jungles » dont la télévision, régulièrement, nous montre le démantèlement musclé. On dira ce qu’on veut, on s’abritera derrière les ordres, derrière la loi, derrière l’Europe… la honte est là et pas un charter ne la renverra.
Au détour d’un chapitre, Chowra Makaremi nous rappelle comment elle-même fut accueillie dans son enfance, venue d’Iran où sa mère, membre d’un parti de gauche, venait d’être assassinée en prison par les mollahs. Cette arrivée « si tranquille, si humaine par rapport à ce que sont devenues les frontières » lui semble un souvenir lointain, presque un rêve. C’était en 1986. Après une enfance et une adolescence en grande partie passées à Limoges, elle est devenue anthropologue, chercheure au CNRS. Aujourd’hui, sans doute aurait-elle été renvoyée en Iran. En se privant délibérément de ce que le monde peut lui offrir de mieux en matière de courage et de volonté, non seulement la France manque à ses valeurs autoproclamées mais elle se tire une balle dans le pied. Un pays qui n’est plus capable de générosité est un pays qui meurt. La France était le pays de Diderot. La France est morte et Diderot n’a plus de pays. Où le renverra-t-on ?
Yann Fastier