Pour un photographe, il y a sans doute bien des façons de faire ses premières armes

 

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et le service militaire n’est pas la moins littérale de toutes. Raymond Depardon en sait quelque chose qui, plutôt que de récurer les chiottes, fut de la revue pendant l’année 62-63 comme reporter-photographe pour le compte de TAM (Terre Air Mer), le magazine préféré du militaire français. À vrai dire, il n’était pas tout à fait novice puisque, à vingt ans, il travaillait déjà depuis plusieurs années pour l’agence Dalmas et s’était même déjà fait une réputation, l’un de ses reportages dans le Sahara ayant fait la une de France soir et de Paris Match. Aussi apportait-il en réalité un véritable savoir-faire à l’armée qui, ayant fait le tri de ses archives, lui en sait tardivement gré via ce catalogue, publié à l’occasion d’une exposition au Musée National de la Marine de Toulon reprise au cloître de l’École du Val de Grâce à Paris en 2019-2020. Peut-être la gratitude est elle d’ailleurs réciproque : cette « année blanche » au service de la communication de l’armée ne fut pas tout à fait perdue pour le jeune Raymond qui, de son propre aveu, y apprit une certaine parcimonie, une économie de moyens qui devait lui servir plus tard. La Grande Muette n’étant pas riche, il s’agissait de ne pas gâcher la pellicule et, comme tout un chacun, le jeune homme dut apprendre à viser pour ne tirer qu’à coup sûr. Défense de mitrailler, donc, mais, en compensation,  une belle diversité de cibles : TAM étant un magazine interarmes, il s’agissait de montrer les multiples facettes d’une armée en paix pour la première fois depuis longtemps. Une armée moderne, avant tout, en phase avec les Trente glorieuses, comme en témoigne un reportage au Salon des Arts ménagers, pas si loin des grandes manœuvres auxquelles le photographe est régulièrement convié, entre deux journées portes ouvertes et deux visites aux enfants de troupe. Tout est évidemment pensé pour donner de l’armée l’image d’efficacité bon enfant qu’elle veut donner d’elle-même et notre homme n’est pas avare de contre-plongées quand il s’agit de montrer le pioupiou dans ses œuvres. Inutile, donc, d’espérer un regard critique sur l’institution : Depardon fait loyalement le job, et c’est tout. Si elle n’ajoute pas grand-chose à la gloire de celui que l’on considère à présent comme l’un des grands documentaristes du XXe siècle, cette exposition n’en est pas moins révélatrice de la façon dont se construit une communication efficace à travers l’œil d’un professionnel, même en service commandé. 

Yann Fastier