Oubli, déni ou simple ignorance, la naissance pour le moins problématique de notre sacro-sainte Ve République figure assez rarement au programme.

 

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Au moment où certains poussent des cris d’orfraie sous prétexte qu’elle serait attaquée dans ses fondements, cette bande dessinée vient opportunément nous rafraîchir la mémoire. Nous sommes en 1958, les « événements » d’Algérie durent déjà depuis quatre ans, avec leur cortège d’attentats, de tortures et d’exécutions sommaires. En France, la situation est instable, aggravée par la volatilité des gouvernements d’une IVe République à l’agonie. À Colombey-les-deux-églises, le général De Gaulle attend son heure. Officiellement retiré des affaires, il laisse agir ses partisans encore nombreux. Quand Pierre Pfimlin, le nouveau président du conseil, préconise des négociations avec le FLN, la situation devient explosive à Alger, où les partisans de l’Algérie française ne l’entendent pas de cette oreille. Une alliance de fait entre généraux, pieds noirs, néo-fascistes et réseaux gaullistes mène à une démonstration de force qui met la France au bord de la guerre civile et dont De Gaulle, sans jamais l’avoir officiellement soutenue, tirera partie pour revenir au pouvoir avec, dans ses bagages, un projet de constitution à ses amples mesures.

Caricaturiste au trait infiniment plastique, Boucq croque avec un plaisir manifeste une collection de trognes qui tient autant du panier de crabes que du jeu de massacre. On croirait une comédie et, pourtant, tout est vrai : de l’alliance improbable de gens qui se détestent, de l’inconséquence des politiques accordant les pleins pouvoirs à des généraux qu’ils désignent par ailleurs comme factieux, de ce vrai-faux putsch, enfin, dont pas grand-monde ne fut dupe quand il permettait de se réfugier lâchement à l’ombre du grand Charles. Quelques jours plus tard, à Alger, De Gaulle lançait son fameux « Je vous ai compris » sous les acclamations des tenants de l’Algérie Française, dont les dents ne tarderaient pas à grincer…

Drôle de bout en bout, décapante et capricante comme une pièce de Feydeau où les cocus, plutôt que de cornes, se verraient le chef orné de quatre étoiles, cette folle pantalonnade n’en est pas moins une leçon d’Histoire comme il en est peu, malgré la vogue de la bande dessinée documentaire.

Une leçon à retenir.

Yann Fastier

 

Pour aller plus loin

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La guerre civile en France, 1958-1962 : du coup d’État gaulliste à la fin de l’OAS, de Grey Anderson. – La Fabrique, 2018.

À signaler également, une curiosité :

Le Gorille en révolution, d’Antoine Dominique (Gallimard, 1958)

Dominique Ponchardier, alias Antoine Dominique, était un fidèle parmi les fidèles de De Gaulle. Très actif dans la Résistance puis dans les commandos anti-OAS, il fut aux premières loges du coup d’État gaulliste et son roman, qui occupe une place à part dans sa fameuse série du Gorille, reste une source de première main pour qui voudrait se replonger dans l’ambiance un peu folle de cette année 1958 où la France aurait pu devenir une dictature militaire.