Les touristes ne s’y pressent pas. On n’y vient pas, on y vit.

 

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On n’en sort pas quand on est de là-bas. Paris est loin, on est à Paris pourtant. Dans le nord, dix-huitième, le bout du monde. Ce n’est pas la banlieue, simplement un quartier populaire même pas en voie de gentrification. Le Sacré Coeur est à deux pas, mais ici l’édifice le plus célèbre a pour nom le commissariat de la Goutte d’or et les filles se prénomment Farida ou Sara et non pas Amélie. On est à Barbès dans ces trois courts romans de Marc Villard, écrits entre 1987 et 2006, regroupés aujourd’hui dans la Série noire pour un recueil cohérent.

Rebelles de la nuit, La porte de derrière et Quand la ville mord mettent en scène un même personnage, Tramson éducateur de rue au grand coeur qui tente l’impossible, sortir les gosses de l’inévitable engrenage, délinquance, trafics, vols, avec en ligne de mire une voie toute tracée, celle de la prison. Il se débat, Tram, avec les moyens du bord et son idéalisme à revendre. Pas facile tous les jours quand il n’a à leur proposer que des boulots minables, payés une misère alors qu’ils peuvent se faire un max de thune sans avoir à se lever le matin rien qu’en vendant des doses de crack aux toxicos du coin et devenir les caïds de leur bout de boulevard. Pour les filles, c’est pire. C’est leur corps qu’on leur propose de vendre, activité sans expérience exigée, lucrative s’il en est tant qu’on a 15-16 ans. Fracasser les ambitions des gamins des rues à coups de CDD sans avenir et sans gloire, écraser leurs rêves d’un ailleurs, d’un mieux, la balance ne penche pas en faveur du travailleur social face aux offres de promotion instantanée. Les dealers, mafieux en tous genres tiennent le pavé, font les lois et les flics, qu’ils soient corrompus ou incorruptibles gagnent peu de batailles.

Dans ces trois romans, les intrigues importent peu. Ce que Villard donne à voir, ce sont des figures. Un marchand de figues, un patron de bars, des petites frappes, des vigiles, des filles qui rient comme des ados malgré la perte de leurs illusions. Un marabout aux tarifs prohibitifs, un vieux sage qui rend la justice, des ombres qui se débrouillent, se démènent. Avec toujours un air de jazz pour l’accompagner, Tram en croise des gens, l’âme du quartier, des clodos, des mères prêtes à tout, des voisines solidaires, des individus sur le fil, en bordure, des fils de la troisième génération,  complètement Français sans en être, comme Barbès est tout à fait Paris sans en exposer les clichés. Barbès devient un personnage à part entière, son asphalte prend corps. Malgré les années qui séparent les différents récits, les choses changent peu. Pour le pire et le meilleur, Barbès respire encore.

Marianne Peyronnet