C’est paraît-il dans les vieux pots qu’on fait les meilleurs gaspachos.

 

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Ne craignons donc pas de nous replonger dans l’intégrale des Professionnels de Carlos Giménez, on n’y pêchera que de bons morceaux.

Né en 1941, à Madrid, Carlos Giménez est l’un des plus éminents représentants de ce qu’on appelle en Espagne la generaciόn más linda, cette génération des années 60-70 formée à la rude école des agences d’illustration qui, des années durant, fournirent la Grande Bretagne et la France en séries populaires destinées au marché de la BD dite « de gare ». Mal payés, mal considérés, pressés comme des citrons par des patrons moins mécènes que margoulins, ces dessinateurs, ces scénaristes le plus souvent anonymes n’étaient pourtant pas tous dénués de talent et certains, comme José « Pepe » González devinrent même des sortes de stars aux Etats-Unis tout en restant parfaitement ignorés en France. Après avoir raconté son enfance traumatisée dans les orphelinats franquistes (Paracuellos) et sa jeunesse madrilène (Barrio), ce sont ces années de formation qu’entreprend de raconter ici Giménez, alors qu’il grattait pour Selecciones Ilustradas, l’un des principaux studios de Barcelone, fondée par le fameux Josep Toutain, acteur incontournable de toute la bande dessinée espagnole de ces années-là. Inutile, cependant, d’y chercher matière à son exposé sur l’histoire de la BD : on est ici dans Fluide glacial, et « l’humour glacé et sophistiqué » prend sans barguigner le pas sur le didactique. L’agence Selecciones ilustradas, à peine maquillée en Creaciones ilustradas, y apparaît surtout comme un vivier de personnages plus allumés les uns que les autres, multipliant canulars et mauvaises blagues avec un esprit potache qui ne recule devant absolument rien, pas même la bataille de merde et le concours de pieds sales ! Et toutes les anecdotes sont authentiques, nous assure l’auteur sans tout à fait nous rassurer. Difficile, du coup, d’en choisir une parmi les six volumes ici réunis en intégrale sinon, peut-être, celle qui voit ces fous furieux discrètement desceller le carreau qui sert de table lumineuse à l’un de leur collègue du 8e étage… Non vraiment, on ne s’ennuie pas une seconde chez les auteurs de petits mickeys. Et c’est tant mieux car l’époque n’était pas rose et, à aucun moment, Giménez n’est tenté de nous faire le coup de la nostalgie, bien au contraire. En ce milieu des années soixante, le franquisme était encore bien vivant et la dictature est partout présente dans le décor faussement insouciant de ces souvenirs. A cet égard, le dernier volume fait figure de petit chef d’œuvre qui, délaissant un peu la table à dessin, prend prétexte d’une balade sur la rambla et d’une rocambolesque aventure sentimentale pour dresser un portrait doux-amer (c’est-à-dire sensible et drôle) de la société espagnole de ces années-là.

Yann Fastier