La chose impressionne d’abord par sa taille : un pavé de presque mille pages

 

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aux tranches imprimées de motifs japonisants du plus bel effet, autant dire qu’on n’y entre pas sans prendre les patins. À l’usage, il se révèle cependant plus qu’accueillant, d’autant qu’il s’agit en réalité d’une tétralogie dont chaque histoire, tout en prenant place dans un cadre unique, peut être lue de façon à peu près indépendante. Ce cadre, c’est celui de l’Exposition Universelle de Paris 1900, événement faramineux destiné à ouvrir le XXe siècle tout en faisant le bilan du précédent, et dont on peine aujourd’hui à concevoir l’importance, sauf à considérer les monuments qu’elle nous a légués, à commencer par le Grand et le Petit Palais et jusqu’au métro, la toute première ligne Porte de Vincennes-Porte Maillot ayant été inaugurée pour l’occasion, avec ses fameuses bouches Art Nouveau conçues par Hector Guimard.

Quoi qu’il en soit, la jeune Marie-Antoinette Verquin, elle, est bien décidée à en profiter. Petite arnaqueuse du carreau des Halles, elle se rêve un avenir dans la haute-couture grâce à son « Aube du nouveau siècle », une robe patiemment conçue dans la chambre de bonne qu’elle occupe dans l’ancien bordel de la rue du Poil-au-con où travaillait sa défunte mère. « Fille moderne », industrieuse et pleine d’allant, elle entend bien faire son trou et, pour cela, met en œuvre toute son astuce et son insurpassable culot pour se faire remarquer de l’ingénieur Picard, grand ordonnateur de l’Exposition et maître de ses destinées. Ses destinées, en l’occurrence, ne tarderont pas à croiser celles d’un certain nombre de fantômes en quête de vengeance, gardés dans quatre urnes funéraires par un mystérieux aristocrate japonais auquel elle attachera désormais ses pas, pour le meilleur et plus souvent pour le pire.

Impossible d’en dire plus sur ce véritable roman fleuve, sinon qu’il est en crue et qu’il emporte tout sur son passage avec une bonne humeur communicative, en un maelstrom où l’on reconnaîtra au passage quelques têtes connues (Méliès, Eiffel, le préfet Lépine) au milieu de tout un petit peuple de personnages attachants et drôles entraînés de plus ou moins bon gré par l’irrésistible Marie-Antoinette. Qu’importe au fond l’intrigue compliquée à loisir, rocambolesque oblige: c’est d’elle et d’elle seule qu’on se souviendra, comme on se souvient d’Arsène Lupin, de Rouletabille ou de Fantômas après avoir tout oublié de leurs aventures. Formidable personnage à l’instar de ces messieurs, aussi rouée qu’innocente, aussi calamiteuse qu’endurante et courageuse et bien plus aimable qu’Adèle Blanc-Sec, elle restera un modèle du genre pour quiconque aura le bonheur de descendre ses aventures en rafting, au fil d’une écriture au style aussi bondissant qu’elle-même, ce dont on ne remerciera jamais assez Jean-Philippe Depotte en un temps où les scénaristes semblent décidément prendre le pas sur les vrais écrivains.

Il est vrai que le style, ça le connaît : animateur de la chaîne Youtube Alchimie d’un roman, cela fait déjà plusieurs années que l’auteur des Démons de Paris et du Crâne parfait de Lucien Bel, dépiaute en amateur éclairé les chefs d’œuvres de la littérature mondiale. Ennemis de la vivisection, on n’en fera pas autant de ses fantômes encore si bien vivants : on se contentera de constater une fois encore ce que la littérature française contemporaine doit à ces « mauvais genres » par ailleurs si dédaignés par la critique, quand la littérature blanche – la seule « officiellement » reconnue par les grands prix et les médias dominants – ne cesse d’étaler un peu plus loin sa platitude.

Seul bémol (mais c’est un détail) l’auteur – ou l’éditeur – semble avoir une dent contre les accents circonflexes…

Yann Fastier