Alex, journaliste people, décide de passer l’hiver 2010 à Malagusta.

 

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L’île n’est jamais complètement désertée par les stars. La traque aux célébrités, même sur le retour, devrait lui permettre de rédiger quelques papiers à envoyer à la presse britannique, sans qu’il ait trop à se fatiguer.

Le roman s’ouvre sur la lecture d’un SMS venant de son coéquipier photographe, lui indiquant que le corps d’un certain Diouke a été retrouvé dans un terrain vague, battu à mort. Alex a, des années durant, rêvé de cette scène. Tant de fois il s’est imaginé disant à Diouke : « tu as tué Rossana, et maintenant c’est toi qui meurs dans ta merde, ce n’est que justice. » Mais voilà, à l’annonce de la nouvelle, il est un peu perdu, comme si on lui avait dérobé sa réplique.

Sa réaction, pour le moins intrigante, résume parfaitement l’ambiguité de l’intrigue, présente le contexte et soulève la question qui courra tout au long du récit : Diouke est-il le salaud du titre ?

La réponse, ou en tout cas, des éléments de réponse, viendront des souvenirs d’Alex à propos de ce personnage désormais disparu.

Ils s’étaient rencontrés à Paris en 1976. Comme tous les membres de la bande naviguant dans le sillage de Diouke, Alex était tombé sous son charme. Aussi brillant que bavard, Diouke dispensait ses pensées éclairées à qui voulait l’entendre. Il avait un avis sur tout en matière d’art, de littérature ou de politique et passait ses journées à inonder sa cour de son savoir, développant ses idées à mesure qu’il les trouvait, dans les verres d’alcool notamment. Volontiers communiste comme un pied de nez à sa caste, il s’encanaillait a l’envi avec des types de basse extraction, prostituées, joueurs de carte, dépensant un argent fou dont on ne connaissait pas la provenance. Charismatique, il était fascinant autant que tête à claques. Insupportable de mépris envers ses congénères, forcément inférieurs, il avait l’attrait des critiques éloquents et, à la manière d’un Oscar Wilde, encourait le risque de se faire étriper pour avoir éreinté quelque écrivain ou artiste, dans un article ou un salon, d’une saillie assassine. Il était de ceux dont on ne sait s’il faut les gifler ou rire à leurs blagues.

Les deux hommes s’étaient séparés, en froid, après que Diouke ait ravi sans scrupule la femme dont son ami s’était épris. Rossana, échappée d’un tableau de Botticelli avait succombé, au sens littéral du terme.

Trente ans plus tard donc, Alex et Diouke se rencontrent à nouveau. Attiré comme par un aimant, malgré lui, Alex se retrouve, encore, confronté à cet être qu’il hait mais dont il recherche la présence, fomentant une vengeance illusoire. Diouke n’a pas changé. Dilettante, alcoolique mondain, il vit à crédit, joue, flambe, parle toujours beaucoup et surtout de lui. Au point qu’Alex lui demande : « je ne comprends pas que tu aies vécu si longtemps sans te faire démolir le portrait. Je veux dire, littéralement, le crâne fracassé. » On connait la suite…

Un vrai salaud, de facture très classique tant dans le fond que la forme, se joue des codes du roman noir, pour pencher finalement vers le roman de moeurs, avec une analyse très poussée d’un milieu social et surtout de la psychologie d’un personnage. Diouke n’est qu’ambiguité. On croit l’avoir perçu, il nous glisse entre les mains. D’abord parce qu’il est décrit par son rival, donc de façon subjective, et qu’Alex n’est pas dénué de défauts. Et l’auteur émaille son histoire de blancs. Il y a des trous dans les vies de ses personnages, des omissions dans leurs déclarations. Au lecteur de se forger son opinion dans un flot d’informations parfois contradictoires. La résolution de l’énigme n’est pas ce qui compte. La mort de Diouke était inévitable. Encore faut-il savoir quel homme il a été vraiment. Etait-il seulement un vrai salaud ? Imbu de lui-même, pire que ces autres qui n’ont vécu qu’à travers lui, se gargarisant de faire partie de sa troupe ? N’était-il pas le reflet de leur propre mégalomanie ? Plus nihiliste, sachant que les vraies amitiés n’existent pas, sa fin est-elle autre chose qu’un acte de désespoir, un suicide déguisé ? Ruiné, quitté par sa femme, abandonné de tous, n’a-t-il pas simplement forcé le destin ?

Il n’y a pas de réponse au final, seulement l’évidence que personne n’est jamais tout noir ou tout blanc. Et c’est bien la seule évidence de ce roman insaisissable.

Marianne Peyronnet