Septembre 1957.

 

Sécurité. Pour accéder au portail de votre bibliothèque, merci de confirmer que vous n'êtes pas un robot en cliquant ici.

Dans l’Arkansas, le gouverneur refuse à neufs collégiens noirs d’intégrer leur école, malgré la récente loi, édictée par Eisenhower, leur permettent de suivre leur scolarité dans le même établissement que les blancs.

A Memphis, trois gangsters à la petite semaine fomentent le plan de leur vie, enlever Teddy Kinship, huit ans, sur la route de son école, et le séquestrer dans une maison louée sous un faux prétexte, à l’écart de tout, le temps de récupérer la rançon. C’est Podjo qui dirige les opérations. Il a de la bouteille et les pieds sur terre. Joueur quasi professionnel, il sait garder la tête froide et la main. C’est Rufus qui a eu cette géniale, mais ils ont besoin d’un cerveau, lui qui pense le plus souvent avec un autre de ses organes, surtout quand Reeny est à portée de main. Reeny, c’est sa nana, belle et insatiable, même si elle a quelques années de plus que lui.

Nous serions donc dans un roman noir des plus classiques si Foote ne proposait pas un fait inhabituel, exposant par là-même un tableau et une lecture inédits de l’histoire des Etats-Unis : les malfrats s’avèrent être blancs, tandis que le gosse est issu de la bourgeoisie noire. En inversant les rôles traditionnellement échus aux protagonistes de ce genre de récit, il explore des ressorts neufs à l’oeuvre dans la société américaine.

C’est sur fond d’émeute raciale en Arkansas donc, que les personnages suivent à la télé et dans les journaux, que l’auteur plante son décor. Les forces de l’ordre tentent de faire respecter les consignes, tandis que les neuf étudiants s’exposent au lynchage de la foule. Le contexte, logiquement, devrait faire ressortir des sentiments évidents dans chacune des communautés. Il n’en est rien. A travers la famille de Teddy, Foote démontre la complexité du monde et démonte les idées toutes faites. Le père de Teddy, Eben, a réussi en étant embauché dans la société comptable de son beau-père Daddy. Sous le surnom affectueux se cache un bourgeois fortuné, propriétaire de nombreux logements qu’il loue, notamment à son gendre. Eben a toujours été dans son ombre, soucieux de plaire à celui le nourrit, comme un chien. Il a toujours été un pion, aux ordres. Quand Teddy est kidnappé, il est bien obligé de s’en remettre à son maître, détenteur de l’argent requis. Dady agit en patriarche, en défenseur de ses enfants et de ses valeurs. Il a acquis sa respectabilité en se pliant aux règles des blancs, au détriment de celles de sa communauté. Il compte bien à ce que rien ne change et à ce titre n’a que mépris pour les étudiants révoltés. Le qu’en dira-t-on est plus dommageable que des injustices supposées. N’a-t-il pas lui-même choisi Eben pour sa fille Martha, s’évitant la honte de la voir mariée avec sa passion de jeunesse, un homme trop noir pour son rang. Dans le même temps, le trio blanc est composé d’individus abrutis, sans culture, des rednecks dénué de racisme, sinon de préjugés, uniquement guidés par l’appât du gain.

Foote prend son temps, décrit les préparatifs du rapt, puis la durée du confinement, dans le détail, en insistant sur les relations changeantes entre tous les protagonistes présents dans le roman. Il laisse successivement la parole à chacun d’eux, dans des passages à la première personne, narrant leur passé, leurs désirs et leurs frustrations, leurs pensées secrètes aussi, permettant au lecteur de comprendre leurs failles.

Les relations familiales, ou au sein du trio des kidnappeurs, dans une ambiance moite, lente d’ennui, gonflée d’énergie sexuelle, révèlent autant de tensions que dans les rapports interaciaux. Noirs et blancs ne se mélangent pas, pas plus que ne se fréquentent riches et pauvres d’une même communauté. Comme chez Eben, on vit à côté les uns des autres, on se tolère, tant que chacun reste à sa place.

Cela est-il en train de changer ? La société ne sera-t-elle pas obligée de bouger ? Pas aussi vite qu’on pourrait le souhaiter. C’est ce que nous dit Foote, en choisissant de raconter son histoire au passé, au cours d’un mois de septembre 77. Vingt ans qui séparent ces deux mois de septembre sans que les fondements de la société aient vraiment changé.

Marianne Peyronnet