Marcel Klouellebecq est en panne d’inspiration.

 

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Lui, le grand génie des Lettres, fin analyste des travers de notre modernité, visionnaire quant aux prochains fléaux sociétaux qui ne manqueront pas de nous tomber sur le coin de la gueule, adulé du tout Paris littéraire, bon client des plateaux télé, lui dont chaque roman sauve toute la chaîne du livre par ses ventes faramineuses n’arrive plus à écrire. En tout cas, son éditrice vient de lui refuser ses deux derniers manuscrits, « pas assez segmentants. » Il faut dire qu’il a établi sa notoriété autant sur ses provocations que sur son style, vestimentaire et narratif. Et là, il peine à dénicher une problématique assez transgressive pour faire le buzz, alimenter un débat qui déchirera les bobos à la machine à café, qui les fera prendre position pour ou contre le dernier Klouellebecq, qu’ils ne liront pas mais qu’ils achèteront. Il va trop bien pour renouer avec l’état de grâce, cette dépression qui le transcende. Il lui faut retrouver la laideur, réalimenter son accablement pour ravir ses fans.

L’idée lui est soufflée au cours d’un dîner. Il lui faut dégoter « un décor sinistre pour faire mouiller la France qui lit. » Pourquoi ne pas écrire sur cette « bande de territoire, qui traverse le pays de la Meuse jusqu’aux Landes, dans laquelle la densité de peuplement et l’espérance de vie sont très largement inférieures à la moyenne nationale, (où) la population souffre d’un sentiment d’abandon et d’un désespoir chronique » ? En gros, pourquoi ne pas aller rendre visite aux ploucs, séjourner dans un bled symbole de cette France périphérique pour en conter la glauquitude ? Soit, la diagonale du vide sera le sujet et le titre de son prochain best-seller. Le grand auteur enfile sa doudoune Canada Goose, grimpe dans sa Jeep Grand Cherokee met donc « le cap au pire », direction l’est, et se pose à Morneuil.

Pascal Fioretto n’en est pas à son coup d’essai pour faire rigoler dans les chaumières. Il a déjà commis plusieurs méfaits réussis dans l’exercice difficile du pastiche, notamment avec Et si c’était niais, ou L’élégance du maigrichon.

Souvent, les textes façonnés à la manière de ennuient très vite. L’unique habileté des rédacteurs à reproduire une façon d’écrire est à saluer certes, mais tel le savoir-faire du sabotier, on se demande pourquoi dépenser tant d’énergie pour au final ne délivrer que des… sabots. Mélatonine va beaucoup plus loin. Non seulement Fioretto parvient à faire entendre la musique des ouvrages du chouchou médiatique, à faire sourire de ses tics et ses postures, mais il livre une critique en règle du monde contemporain de l’édition, du parisianisme qui fait l’opinion.

Klouellebecq, armé de ses apriori, se retrouve ainsi dans le trou du cul du monde, ce désert médical, culturel et social autrefois appelé Province, désigné désormais sous le terme de régions ou de territoires (comme on parle des quartiers, c’est plus chic) et y trouve le bonheur. Etonnant, non ? Il dort bien, mange bien, baise et se fait même laver les cheveux ! Il se plait finalement au contact de ces délaissés, incultes et pauvres. Bref, il n’arrive pas à déprimer, à dénigrer ces êtres étranges qui peuplent tout l’hexagone sauf Paris. Fioretto parvient à faire mesurer toute la condescendance dont ils sont l’objet depuis là-haut et se moque de la médiocrité, de la mesquinerie des gens riches et célèbres et de ceux qui les font. Ça dézingue, c’est extrêmement drôle parce qu’extrêmement fin et méchant. Avec Mélatonine, la parodie n’est pas un art, mais du grand art.

Marianne Peyronnet