Certes Bastien Vivès n’est plus tout à fait le jeune prodige dont s’ébaudissait naguère toute une profession toujours en quête de sang neuf.

 

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Depuis Le goût du chlore, qui le révéla en 2008, on peut même dire qu’il a pris de la bouteille, dont quelques grands crus (Polina et, plus récemment Une sœur) achevèrent d’en faire un auteur à part entière, mature et sensible. Il sait pourtant toujours s’amuser : en témoignent non seulement les 11 volumes de Last man, à l’esprit volontairement bad ass et régressif, et les joyeuses pornographies de Petit Paul et La décharge mentale, mais aussi et surtout ces petits livres que publie régulièrement Delcourt dans la collection Shampoing, dirigée par Lewis Trondheim. Après le jeu vidéo, la famille, la blogosphère... c’est au tour du football d’en faire les frais. Dans un format minimaliste qui favorise les dialogues, tout y passe : l’interview de fin de match, le briefing du coach, le mercato… tout en opérant le prodige de ne jamais montrer les joueurs en action ! On pense évidemment à Bouzard (Football football), à Pierre La Police (Science foot) mais plus encore à Fabcaro ou Ruppert & Mulot, dont Bastien Vivès partage la veine parodique, capable de tirer sur un fil d’apparence réaliste jusqu’à détricotage complet du maillot. Le décalage est parfois subtil, la bêtise à peine outrée, juste assez pour révéler nos ridicules, ceux de l’époque et de sa langue, particulièrement bien restituée. L’économie narrative est celle du strip, dont l’équivalent théâtral pourrait être le stand-up : un seul dessin réduit à l’essentiel suffit parfois à toute une chaîne de dialogues, répondant par l’efficacité à l’objectif de rapidité d’une forme née sur les blogs, en marge d’une œuvre papier souvent plus « travaillée ». Les blogs ont vécu, la forme est restée, langue agile et pied léger, qui n’a rien à envier aux grosses machines. Qu’on en juge, par ce dialogue entre un agent et un jeune joueur :
- Et si je te disais que je pourrais presque te faire jouer à Barcelone ?
- Grave.
- Ça s’appelle Barchoulone. C’est en Roumanie, et il leur manque plus qu’un super attaquant pour être européens.
- Y a Messi ?
- Alors y a pas Messi, mais y a « Metchi », il est Roumain. Même physique, mais un peu moins technique, plus à l’ancienne, tu vois.
- Ouais.
- J’avais discuté de toi avec le président, et vraiment il est super chaud.
- C’est quoi mon salaire ?
- Alors ils ont une monnaie un peu spéciale là-bas, mais une fois convertie en euros, c’est à peu près la même chose.
- Pour moi, ce qui compte, c’est de mettre ma famille à l’abri.
- Par contre, niveau abri, maçonnerie, tout ça, les mecs sont bétons. Tu pourras mettre tout ce que tu veux à l’abri.
- OK.
- Bon bah nickel, je vais en reparler au président, et on gère ça pour cet hiver.
- OK.

- Tu vas voir, là-bas les filles, à « Barchoulone », elles sont superbes. Tu vas tomber amoureux, attention !
- Oui, mais faut d’abord que je mette ma famille à l’abri.
- Ça marche.


Yann Fastier (& Bastien Vivès)