Les meilleurs mangas puisent souvent leur force de la passion de l’auteur pour leur sujet.

 

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De son propre aveu, la mangaka Kaoru Mori entretient deux passions, depuis toujours : l’une pour les soubrettes anglaises, l’autre pour l’Asie centrale et ses étoffes. Dans un cas, cela donne Emma (10 volumes, chez Kurokawa) et l’autre, Bride Stories, où son goût pour les chevaux et les tapis trouve pleinement à s’épanouir. Nous sommes au XIXe siècle, aux confins de la Perse, de l’Altaï et la mer Caspienne. L’Angleterre et la Russie se livrent alors à leur « grand jeu » pour asseoir leur domination sur ces régions qui recouvrent, en gros, les actuelles républiques en – stan de l’ex-URSS. Pour l’heure, le statu quo permet encore aux autochtones d’élever leurs moutons dans une relative indépendance et l’on est bien content pour eux. Eux : la belle et fougueuse Amir, 20 ans, que son clan veut reprendre à son petit mari, de huit ans son cadet, pour l’offrir à un affreux. Elle, Pariya, la mal lunée, qui fait fuir tous les prétendants. Elles encore, Leyli et Layla, les deux adorables catastrophes ambulantes que l’on finira pourtant bien par marier. Elle, enfin, Talas, jeune veuve de cinq maris, qui s’éprend de M. Smith, linguiste distingué dont le périple asiatique fait le lien entre tous ces braves gens. Braves au point que l’on ne sait ce qu’il faut le plus admirer, de la précision documentaire dans la description des usages et des objets du quotidien ou bien de l’extraordinaire force de sympathie dont elle sait douer le moindre de ses personnages. Il ne faut pas deux cases pour tomber amoureux d’Amir et de tous les autres, filles et garçons, mais filles, surtout, puisqu’elles sont, peu ou prou, au centre de ces histoires de fiançailles. Car d’une manière ou d’une autre, le mariage est au cœur de chacune de ces histoires, qu’il revête la forme d’une alliance plus ou moins intéressée entre clans ou bien celle, d’un érotisme discret, des « sœurs conjointes » de la bonne société persane. Même s’il y a certainement une part d’idéalisation dans la liberté dont semblent jouir ces jeunes femmes dans un monde essentiellement patriarcal, Kaoru Mori tient cependant à nuancer les choses. Monnaie d’échange ou patate chaude, les filles ne sont cependant pas toujours aussi mal loties qu’elles le paraissent de notre point de vue d’occidentaux ethnocentrés. Après tout, nous ne sommes pas loin de l’antique territoire des amazones et les filles ont ici de beaux restes. Il est ainsi d’usage qu’elles montent à cheval et tirent à l’arc à l’égal des hommes, auxquels elles savent à tous égards rendre bien des points. Amir et les autres ne s’en privent pas, pour notre grand bonheur, et l’on ne dédaignerait pas d’avoir à nouveau douze ans pour épouser illico presto l’une ou l’autre de ces grandes filles de vingt. Ou même toutes, allez tiens, hop.

Yann Fastier