Sasha a bientôt 10 ans.
Avec les deux autres membres de son gang, Jojo et Brahim, elle hante les rues encore désertes de Vieux-Boucau, en attendant la saison touristique. Trois pour un gang, c’est peu. Faut dire que, trop différents pour être populaires, les autres les aiment pas beaucoup, alors ils se sont trouvés. Sasha se rêve garçon et se balade avec son pit-bull sans laisse. Elle n’a pas de mère. Jojo en a une lui, de mère. Dans ses tenues exubérantes, Marylou, maquillée comme un camion volé, ne passe pas inaperçue. Elle s’en fiche de ce qu’on pense d’elle. Seul compte Jojo, l’amour de sa vie, le fruit de ses entrailles, obèse, malade, beau comme un cœur. Et puis, Brahim, ben il est arabe. Un jour, Jojo est enlevé par une femme à barbe qui le fait monter dans sa camionnette blanche. Quand il réapparaît, des jours plus tard, il est méconnaissable. Mutique, maigre, avec une vertèbre en plus.
Chair de poule pour adultes, conte halluciné, pulp au mauvais goût assumé, avec Vertèbres Morgane Caussarieu se délecte des codes de la série Z pour nous plonger dans cette histoire loufoque. Ça passe (ou ça casse) pour peu qu’on accepte sans se poser de questions les rebondissements rocambolesques de son récit. C’est bien ce qu’on faisait quand on avait dix ans, non ? Adorer se faire peur avec des fantômes dans les placards et des tueurs dans la maison. Respecter les termes du contrat, tout en sachant très bien que tout ça n’est pas vrai, sous peine de passer à côté d’une frayeur délectable.
Ici, c’est Sasha, d’une part, qui raconte. Dans son journal intime, elle note la transformation de son copain, et tout le reste. Les cartes Dragon Ball Z, les Minikeums, les Spice Girls ou autre Game Boy, passions enfantines des années 90 - l’action se déroule en 1997 –, le rejet dont elle est l’objet à l’école – elle est pauvre, n’a rien d’une poupée – et le dégoût qu’elle éprouve face aux mutations de son propre corps.
En alternance, Marylou prend la parole. Contrepoint aux réflexions de la petite fille, la mère de Jojo se parle. Par un « tu » insistant, elle se donne. Elle est le contraire d’une enfant, sexuée jusqu’au bout des ongles. Elle aussi cependant est victime de l’ostracisme de ses semblables, dérangeante et seule.
L’horreur grandit au fil des pages. Sang, poils, métamorphoses poisseuses. La vie est organique et sale. Du moins dans l’imagination d’une gosse un peu perdue et d’une mère un peu folle.
Marianne Peyronnet