Honorable pickpocket moscovite, Vania Tchmotanov n’en est pas moins un parfait sosie de Lénine.
Un air de famille qui porte aux grandes idées : pourquoi se contenter de portefeuilles quand la tête embaumée du Guide est là, dans son mausolée, qui vous tend les bras ? L’Occident la paiera sûrement très cher… Ni une ni deux, bravant une sécurité plus que défaillante, Vania s’empare de la précieuse relique, sans rien soupçonner de l’avalanche qu’il vient de déclencher. Car, bien sûr, tout part immédiatement en sucette : le chef du Chef s’avérant un rien faisandé (et nanti d’un curieux petit trou rond à la base du crâne), sa valeur marchande en prend un vilain coup, tout comme l’URSS, soudain privée de son plus précieux symbole. Pour s’en sortir, Vania ne trouvera rien de mieux que d’incarner lui-même un Vladimir Illitch revenu d’entre les morts en pleine forme révolutionnaire, emportant l’adhésion des foules jusqu’au sacrifice ultime qui le verra bien malgré lui revenir à la case départ.
Pur produit du samizdat brejnevien, écrit en trois semaines à l’occasion du centenaire d’Oulianov, La tête de Lénine devait rester comme une épine dans le pied du KGB, qui ne parvint jamais à en identifier le véritable auteur. Ce dernier, jeune universitaire en délicatesse avec le régime, ne tarda d’ailleurs pas à prendre le chemin de l’exil, en Autriche puis en France, où son texte l’avait précédé de peu, publié en 1972 par Maurice Nadeau en supplément à La Quinzaine littéraire. A l’instar de la tête en question, il n’a pas pris une ride et, d’ailleurs très régulièrement réédité, reste un petit chef d’œuvre de bouffonnerie, d’une lecture parfaitement jubilatoire, bien que nécessairement assortie de quelques notes et d’un avant-propos de Nicolas Bokov qui, s’il a depuis versé un peu d’eau bénite dans son vitriol, n’en garde pas moins une maîtrise aussi souriante qu’avérée du coup de boule.
Yann Fastier