Nico a bientôt 13 ans. Elle est moldave et vit avec sa famille dans un village ignoré par la modernité.

 

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Elle n’a pas encore vraiment souffert, Nico. Ses grands yeux bleus ont posé sur son monde un regard candide jusque là. Elle adore l’école, où elle excelle ; son plus jeune frère Luca, avec lequel elle grimpe aux arbres. Elle craint, un peu, son père et sa brutalité, ses autres frères, si rustres. Quand elle a ses premières règles, elle est si peu éduquée sur les choses de la vie, qu’elle pense s’être blessée. Elle est encore une petite fille. Mais, comme elle a commencé à saigner, son père décide qu’il est temps de lui trouver un mari. Bel euphémisme pour la vendre à des trafiquants sexuels.

Sammy a quinze ans. Elle vit à Dublin et n’aspire qu’à quitter sa famille. Son père, démissionnaire, absent, et surtout sa mère, que l’addiction à l’alcool rend maltraitante. Sammy sait déjà tout des choses de la vie. Elle a l’âge des certitudes. Le sexe ? La belle affaire ! Aucune importance d’accepter que son petit ami vende son corps à ses potes contre un peu de dope ! Même pas mal ! Rien n’est pire que La Mère, qui la brutalise, la rabaisse. Alors, pour la fuir, elle décide de rejoindre un réseau de prostitution. Paraît que ça gagne bien. Quand elle aura assez mis de côté, elle pensera à son avenir.

Nico et Sammy n’auraient jamais dû se rencontrer. Elles atterrissent dans la même chambre d’une résidence, à Dublin. Enfermées comme d’autres avec elles. Elles ne sortent que quelques heures par jour, par nuit plutôt. Pour rejoindre des maisons cossues, des manoirs à l’écart de la ville, des cercles fermés, où des hommes puant le fric passent du bon temps avec elles, plus elles sont jeunes mieux c’est, on dirait des poupées.

En nous exposant tour à tour le destin de ces deux héroïnes, par des chapitres courts donnant successivement la parole à l’une puis l’autre, jusqu’à leur réunion dans cette masure sordide, Lisa Harding livre un roman éprouvant, qui donne envie de hurler. Nico et Sammy sont opposées en tous points, au début du moins. Tandis que l’une est naïve, innocente et peine à comprendre ce qui lui arrive, l’autre se veut délurée, rebelle, capable de tout affronter. Elles plongent toutes les deux dans le même enfer pour n’être plus que des jouets aux mains d’hommes qui leur nient toute humanité. Aucun de ces hommes n’éprouve pour elles la moindre compassion. Elles sont là pour se plier à leurs désirs, ils paient assez cher pour qu’elles fassent ce qu’on leur dit. Ils donnent assez d’argent, cet argent dont elles ne verront jamais la couleur.

Les passages où elles occupent leurs journées, à s’apprivoiser, devenir sœurs, tisser des liens si forts, si doux, contrastent tant avec ceux où elles se retrouvent seules avec ces hommes, qu’ils déchirent le cœur. Lisa Harding nous épargne les détails de leur calvaire, mais l’horreur n’en est que plus puissante, laissée à notre seule imagination.

Abattage a dû être douloureux à écrire. Il l’est à lire tant il explore, profondément, tout ce dont l’humain est capable envers ses semblables, des sentiments les plus purs aux pires atrocités.

Marianne Peyronnet