L’année dernière avait vu la publication de (au moins) deux grands romans avec pour toile de fond la guerre d’Algérie ;
vue d’ici, dans Hével, de Patrick Pécherot, ou de là-bas, dans Tu dormiras quand tu seras mort de François Muratet. Avec Requiem pour une République, Thomas Cantaloube poursuit l’exploration de la face sombre, forcément sombre, de l’Histoire de France.
Septembre 1959. L’assassinat d’un avocat algérien lié au FLN dans un appartement parisien tourne au carnage. Son frère, sa femme et ses gosses font partie des victimes. Commandité par Papon, préfet de police, le meurtre a été confié aux bons soins d’un pseudo-littérateur d’extrême droite amoureux des armes. Sirius Volkstrom, barbouse qui a perdu un bras en Indochine, est censé abattre le criminel après son forfait. Se mêlent à l’intrigue Antoine Carrega, bandit corse, appelé à chercher les coupables par un ancien membre de son réseau de résistance, dont la fille a été tuée dans le massacre, et Luc Blanchard, jeune flic encore idéaliste, qui se voit confier l’enquête.
A travers ces trois personnages, l’auteur fait s’incarner les enjeux de pouvoir, les magouilles, les petits arrangements entre amis à la manœuvre dans cette période trouble des débuts de la Vème République. Tous trois se savent baladés, trompés par des donneurs d’ordre sans état d’âme. La seconde guerre mondiale, si elle a laissé des traces, n’a pas empêché des alliances aussi surréalistes que des mariages de carpes et de lapins. Papon, ex-collabo, n’a pas renié ses idéaux. Qu’il accède aux plus hautes fonctions, au service de De Gaulle, ne choque personne. Alors pourquoi quiconque devrait s’embarrasser d’éthique quand les crouilles menacent la République ? La cohésion nationale avant tout.
En mêlant des faits avérés, comme le massacre d’Algériens le 17 octobre 1961, en plein centre de la capitale, la création du SAC, les attentats de l’OAS, les essais nucléaires français dans la future ex-colonie… en exposant des personnages connus comme Le Pen, ou Mitterrand, lors de scènes savoureuses, Cantaloube donne de l’épaisseur à ses « héros », « victimes » des ramifications politiques, des stratagèmes collusifs dont ils apprennent l’existence, tout comme le lecteur, au fil de leur investigation. Réalité et fiction se télescopent pour une plongée sinistre dans une époque longtemps négligée par la littérature.
L’intrigue se déroule sur plusieurs années. Elle est passionnante de bout en bout, implacable, documentée. On avance en prenant des chemins de traverse, aucune ligne claire n’est tracée d’avance. Rien n’est noir ou blanc. Tout est gris. D’un gris très foncé.
Marianne Peyronnet