Fort d’un tropisme assumé pour la chose russe, Bernard Chambaz a donc fait l’Oural.
Se plaçant à juste distance d’un Aragon en pleine extase stalinienne, il livre ici son propre Hourra l’Oural en forme de journal de voyage. En compagnie de son « amoureuse » (sic) et en deux fois – un coup l’hiver, un coup l’été – il sillonne à pied, en train et en voiture cette barrière montagneuse dont on a souvent voulu faire la frontière ultime de l’Europe.
Un voyage, ce sont des paysages, des rencontres et des livres.
Le paysage, ce sera d’abord la paradoxale fascination pour la grande plaine russe enneigée vue d’un train. « Dans le bonheur de la monotonie, j’ai décelé un mobile du voyage » avoue d’emblée l’auteur qui, prudent, n’en cumule pas moins de plus objectifs, entre la mémoire du Goulag, les frasques de jeunesse du singulier personnage que fut Boris Eltsine, le site archéologique controversé d’Arkaïm ou les mystères de l’expédition Dyatlov (neufs randonneurs chevronnés retrouvés morts dans des conditions inexplicables, pour avoir succombé à une « force irrésistible » d’origine inconnue).
Les rencontres, ce sont les Russes, au hasard des visites et des compartiments. Des Russes tels qu’on les imagine, sans demi-mesure, parfois étonnamment rogues, le plus souvent généreux et accueillants.
Les livres, enfin, ce sera Aragon, bien sûr mais aussi Chalamov et, surtout, Pasternak, dont le Dr Jivago hante encore les villes de l’Oural et dont la datcha, dans le « village des écrivains » de Peredelkino, témoigne encore de « (…) ce privilège, saugrenu et calamiteux, qui condamnait les écrivains à vivre entre eux. »
Soyons honnête : le récit de ce périple n’atteint pas, loin s’en faut, la puissance d’émotion du Retour sur le Don de Mario Rigoni Stern, qui ressort ces jours-ci. Mais on n’est pas non plus tout à fait chez Arts et vie, la modestie de l’auteur et la distance légère du ton palliant allègrement sa criante absence du front russe en 43.
Yann Fastier