En 2015, trois ouvrages concomitants mettaient au jour les sympathies fascistes et l’antisémitisme avéré d’un certain Charles-Edouard Jeanneret-Gris dit « Le Corbusier »,
bétonneur bien connu, déclenchant une polémique telle que les milieux universitaires et culturels en ont le secret. François Chaslin, lui-même architecte et producteur à France-Culture, était l’auteur d’un de ces livres (Un Corbusier, Seuil, collection Fiction & Cie). Revenant ici sur l’affaire, c’est avec une sorte de désolation amusée qu’il en observe les répercussions et dégâts collatéraux : désinformation massive, raccourcis et à-peu-près journalistiques, lynchages médiatiques instantanés et dénonciations calomnieuses lui fournissent une riche matière pour une réflexion élargie sur la notion souvent bien mise à mal de vérité. Partant du très opportun pseudonyme choisi par l’architecte, il convoque avec force citations corbeaux, geais, choucas et volatiles de toutes sortes, toute une volière, enfin, dont les croassements, piaillements et gazouillis viennent à point nommé soutenir son propos quant aux joies de la délation, du plagiat, du vain bavardage et des réseaux zoziaux. Qu’on ne s’attende pas, toutefois, à une démonstration en bonne et due forme : l’auteur se veut lui-même un drôle d’oiseau, dont le bon plaisir est de sautiller de-ci, de-là, sans plan bien établi que celui de prétendre divertir le lecteur d’une affaire au fond sans grande importance (même si bon quand même, hein). Et c’est un peu la limite de ce Rococo, dont la forme très soignée (cahiers non massicotés, gaufrage de couverture, nombreux et fort jolis dessins de l’auteur, papiers de couleur et bel effort de typo…) finit par excéder le fond, qui frise assez souvent le pro domo pour paraître un peu vain. Et fait que l’on éprouve en fin de compte autant de plaisir à le lire que de doutes quant à l’opportunité de le conserver dans ses rayonnages.
Yann Fastier