Dès l’ouverture du livre, on sait. Ça fait dix ans que Francis, le frère de Michael, est mort.

 

Sécurité. Pour accéder au portail de votre bibliothèque, merci de confirmer que vous n'êtes pas un robot en cliquant ici.

Ce qu’on ignore, c’est comment. Alors, David Chariandy refait l’histoire, reprend du début, pour ne dévoiler les circonstances de la tragédie qu’au cours des toutes dernières pages.

Scarborough, près de Toronto. Michael et Francis, son aîné de un an, grandissent sous la surveillance attentive de leur mère. Elle a émigré de Trinidad pour offrir à ses fils un avenir qu’elle s’efforce de construire à la sueur de son front. Elle les élève seule depuis que le père est parti. Elle cumule les petits boulots mal payés sans compter ses heures. Elle s’épuise et se désespère de devoir si souvent les laisser se débrouiller tout seuls. Ils sont obéissants et travaillent bien en classe. Jusqu’à ce que… le début des 80’s marque le tournant de leur monde et la fin de leur naïveté d’enfants. La violence, sur fond de misère galopante, gangrène leur quartier. Les agressions, les meurtres deviennent courants, et avec eux la répression policière, entre délits de faciès et tabassages en règle. Le rap, le hip hop sont partout, semblant accompagner chaque pas des deux ados sur leur chemin vers la révolte. Francis se transforme, Michael tente de comprendre, essaye de suivre. Son frère l’a toujours protégé et là il le délaisse, trouve de nouveaux amis, des gars qu’on dit peu fréquentables, notamment un certain Jelly, DJ de son état, dont Francis s’avère très proche. L’évocation des souvenirs de Michael se fait par petites touches, par d’infimes détails. Les odeurs, les couleurs lui reviennent, celles chamarrées, puissantes des épices, des étoffes, venues de l’entière surface du globe. Les sensations remontent, celles ressenties alors qu’il était si jeune et que son frère était tellement vivant, son guide, son ami. L’absence n’a pu être comblée. Leur mère n’a pas pu s’en remettre, et Michael n’a pas pu la laisser, il n’a pas quitté sa banlieue, il n’a pas vécu cette vie radieuse que leur mère leur souhaitait tant.

33 tours est un roman sur la désillusion. Celle des parents qui ne parviennent pas, malgré leurs efforts, leur labeur à faire grimper leurs enfants dans l’échelle sociale. Celle des jeunes qui n’arrivent pas à se faire une place. Parce qu’ils sont un peu trop noirs, un peu trop pauvres, ou simplement parce qu’ils ne veulent pas de ce monde-là. C’est un constat d’échec qui est décrit, terrible, glaçant, sous les mots sensibles de l’auteur. C’est un récit douloureux, empathique, une rengaine trop classique, dépourvue de misérabilisme. C’est un livre vraiment touchant.

Marianne Peyronnet