Jean Dutourd est déjà un auteur reconnu lorsque, en 1959, il publie Les Dupes, son premier recueil de nouvelles, aujourd’hui réédité par Le Dilettante.
Si les trois textes qui le composent relèvent a priori de genres assez variés, ils servent cependant le même jeu, à travers trois sortes de dupes ou de ce que l’auteur d’Au bon beurre estime tel, à savoir le suiveur naïf d’idéologie à la mode, le socialiste dogmatique et l’athée. Le premier (Baba ou L’existence) est un moderne Candide, où Sartre tient lieu de Pangloss et l’existentialisme en vogue de théodicée leibnizienne. Si le troisième (Emile Tronche ou Le Diable et l’athée), un dialogue, se veut un peu trop malin pour être vraiment drôle, le second, en revanche (Ludwig Schnorr ou La marche de l’Histoire) reste un petit bijou de supercherie littéraire, où l’on redécouvre l’œuvre d’un obscur socialiste à l’allemande, ami de Marx et de Bakounine, dont la raideur doctrinaire n’a d’égale qu’une propension assez réjouissante à se planter dans ses prévisions historiques. La ficelle est certes un peu grosse mais l’effet de réel n’en est pas moins soigné, avec références et pastiches à la clé. Au point qu’un André Breton s’y laissa prendre et publia incontinent un article « furibard » qui mit évidemment les rieurs du côté de Dutourd. Avait-il cependant tout à fait tort ? Car si la pose voltairienne est assez convaincante, on sent déjà poindre le vieux con sous le moraliste. Dutourd partage avec la plupart des écrivains de droite cette agaçante prédisposition à se croire exempt de toute illusion sur la nature humaine. L’illusion, qu’elle soit philosophique, politique ou (ir-)religieuse, provient nécessairement du « progressisme » et de ses thuriféraires, jamais de la tradition qui, elle, c’est bien connu, ne ment pas. C’est peut-être, au fond, le point aveugle de ce petit livre par ailleurs plutôt bien fichu, là où Dutourd est sa propre dupe : il se veut cynique, il n’est qu’habilement beauf.
Yann Fastier