Dans un futur indéterminé, Rachel, une journaliste australienne, est envoyée par son rédac-chef dans un Kurdistan syrien
placé sous le joug turc, où le souvenir même de toute culture autochtone se trouve férocement bafoué. Pour avoir découvert par hasard la tombe commune de deux combattantes des YPJ, Rachel va se prendre de passion pour le destin de Tékochine et Gulistan, sœurs d’armes dont on dit qu’elles sont mortes ensemble face à l’ennemi, alors qu’il ne leur restait qu’une seule balle pour deux. Son enquête va l’amener à se rapprocher de la guérilla kurde qui, depuis les montagnes d’Irak et de Turquie, mène un combat désespéré pour la survie d’un peuple qui, depuis toujours, « n’a pour amies que ses montagnes ».
S’il n’est pas tout à fait ce qu’on appelle un maître du style, Patrice Franceschi n’en est pas moins un authentique baroudeur, d’une race qu’on croyait éteinte depuis Kessel ou Henry de Monfreid. Il est surtout un excellent connaisseur du peuple kurde, auquel il a déjà consacré plusieurs livres (Avec les Kurdes, Mourir pour Kobané…) dans lesquels il n’aura cessé de redire toute l’admiration qu’il lui porte.
Principales victimes des accords Sykes-Picot qui présidèrent au dépeçage de l’Empire Ottoman, les Kurdes sont aujourd’hui écartelés entre quatre pays (Turquie, Syrie, Irak, Iran) où – à l’exception de l’Irak post-Saddam où ils sont parvenus à conquérir une fragile autonomie – ils sont la proie d’une répression impitoyable de la part des pouvoirs en place. La révolution syrienne de 2011 a donné l’opportunité au Kurdistan syrien – ou Rojava – de prendre une autonomie de fait, avec l’appui logistique et militaire du PKK, afin de mettre en œuvre le projet de société libertaire, écologiste et féministe promu par Abdullah Öcalan, leur leader emprisonné en Turquie. De là sont venues ces images désormais bien connues de combattantes dont la geste héroïque contre les tueurs de Daesh a été amplement rapportée par les médias du monde entier. Qui se sont montrés bien moins empressés de relater leur nouveau martyre lorsque, lâchés – il n’y a pas d’autre mot – par leurs « alliés » américains et français, les Kurdes se sont retrouvés face à l’armée d’Erdogan et à ses supplétifs islamistes, imposant un régime de terreur dans cette partie reconquise du Rojava où Kurdes et Arabes apprenaient tout juste à vivre en bonne entente.
Était-ce pour Patrice Franceschi une façon de demander pardon pour cette défection ? Quand l’opportunisme règne avec cynisme sur une bonne partie du monde éditorial, ce livre dur et émouvant sonne en tout cas comme une déclaration d’amour inconditionnel à ce peuple indomptable dont on ne dira jamais le courage. Un courage qu’il espère sans doute partager, lui dont on ne doute pas un instant qu’il se reconnaît dans ce colonel des Forces Spéciales qui, à Tékochine lui demandant ce qu’était selon lui un bon soldat, répondait : « Un bon soldat est un littéraire mâtiné d’une once de mysticisme ».
Yann Fastier