Les Iraniens n’ont vraiment pas de chance. La révolution de 1979 n’était pas encore achevée qu’elle se voyait confisquée par les mollahs de Khomeyni.

 

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Après avoir combattu sans relâche le régime du Chah, subi la censure et les tortures de l’une des pires polices politiques du monde, les partis laïcs de gauche qui l’avaient portée étaient décimés, leurs militantes et leurs militants jetés en prison où ils seraient bientôt froidement exécutés par milliers. Quelques années plus tard, c’était la guerre contre l’Irak (8 ans de guerre, 1 million de morts). C’est dans ce contexte que naît le dessinateur Majid Bita, et c’est l’ambiance particulière à cette époque qu’il cherche à rendre dans ce recueil, par le petit bout de la lorgnette, en quelque sorte, entre souvenirs d’enfance et anecdotes familiales, dans un style graphique expressionniste rappelant un Lorenzo Mattotti. Rien d’étonnant quand on sait dans quelles circonstances, suite à la « vague verte » de 2009, le jeune dessinateur, encore étudiant, a choisi de s’exiler en Italie. Depuis, en Iran, les vagues de protestation se succèdent, avec leur cortège de martyrs et d’exécutions capitales, jusqu’au récent mouvement « Femme, Vie, Liberté », suite à l’assassinat de Jina Mahsa Amini par la sinistre « police des mœurs » de Téhéran. D’une époque à l’autre, c’est le même désespoir qui prévaut, la même absence de perspectives, rendue ici par un trait à la noirceur proliférante, où le réel semble toujours à deux doigts de se reconfigurer en croque-mitaine, l’un de ces monstres habitant l’enfance que l’auteur excelle à évoquer dans la grande et très ancienne maison de ses grands-parents, théâtre de tous les mystères et de tous les non-dits.

Un album à la tonalité très sombre où, après Marjane Satrapi (Persépolis) et Mana Neyestani (Une métamorphose iranienne, L’Araignée de Mashhad), Majid Bita témoigne avec beaucoup de nostalgie de la triste réalité d’un pays qui vaut bien mieux que ses tyrans.

Yann Fastier