Qu’est-ce qu’être Français ?

 

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Au-delà des grands mots et des formules ronflantes, au-delà même de toute idée de patriotisme, quelle est la nature de ce sentiment d’appartenance que même le moins chauvin d’entre nous aura éprouvé au moins une fois dans sa vie ? C’est en revoyant La Règle du jeu de Jean Renoir dans un appartement new yorkais des années 70 que cette question s’est présentée pour la première fois à Jean-Christophe Bailly, philosophe et poète, alors travaillé par de tout autres problématiques post-soixante-huitardes. Il n’a depuis lors jamais cessé de se la poser, jusqu’à tenter d’y répondre au moyen de ce livre. Pour l’écrire, il aura sillonné la France de long en large pendant des années, sous d’autres prétextes le plus souvent, professionnels ou non. Il aura mis ses pas dans ceux de Stendhal, avec une prédilection particulière pour ses Mémoires d’un touriste, dont il adopte la nonchalance méditative, cette sorte d’attention flottante aux lieux et aux choses qui fait de ce Dépaysement une lente et rêveuse dérive plutôt qu’une enquête au sens journalistique ou sociologique du terme. De la banlieue parisienne à l’est de la France, du Nord à la Loire, des souvenirs de Rome au Morvan, pays des Eduens, il interroge les paysages et quelques monuments – très peu les gens – suit deux ou trois rivières et s’imprègne du moment, d’une lumière d’où naîtra le sentiment ou, plutôt, ce qu’il nomme plusieurs fois la « ritournelle » propre aux endroits qu’il visite. En quoi ceux-ci font-ils la France ? Est-ce l’Histoire, qui les traversa parfois, pour quelques heures comme à Varenne, quelques siècles comme au Pont du Gard  ou Fontainebleau ? Les palais ne sont rien en eux-mêmes : un potager des bords de Loire peut s’avérer plus chargé de mémoire que tel monument trop balisé, tout est question d’heure et d’humeur, de solitude parfois, d’un accord mystérieux, de cette harmonie soudaine qui fait que l’on reconnaît soudain pour sien un endroit où l’on n’était pourtant jamais venu. Inutile de le dire : sa question initiale, Jean-Christophe Bailly n’y répondra pas – pas vraiment – et Le Dépaysement restera jusqu’au bout ce tâtonnement émerveillé que l’on pressent dès le début, dès la découverte du Transparent de Carmontelle au château de Sceaux, où les quatre saisons d’une France enchantée défilent en transparence légère sur l’écran d’une fenêtre. Rien d’univoque, donc, mais des essais, des intuitions, des chemins de pensées que l’on suit comme on suit une feuille le long d’un caniveau qui nous mènera  peut-être à la mer. L’un de ces livres rares, enfin, dont on sait dès l’abord qu’ils nous porteront plus loin qu’eux-mêmes, de traverse en traverse, entre un dessin de Beuville et une mélodie de Poulenc, vers ce « pays où l’on n’arrive jamais » que l’on ne cesse pourtant de reconnaître pour sien.

Yann Fastier