August Engelhardt (1875-1919) fut l’un de ces naturistes excentriques et peu frileux dont l’Allemagne du 19e finissant eut un temps le secret avant de se reconvertir dans le meurtre de masse.

 

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En 1902, ayant réalisé son héritage, il achète une plantation dans les îles Bismarck en vue d’y fonder une communauté d’adorateurs du soleil qui se nourriront exclusivement de noix de coco,  décrétée aliment universel et parfait. Il eut quelques disciples, puis la malnutrition, la paranoïa et la guerre de 14 vinrent mettre un terme définitif à l’expérience.

La réalité dépasse la fiction, dit-on. C’est entendu, mais la fiction la rattrape dans les côtes et si Christian Kracht s’empare de cette histoire vraie, c’est pour la rendre singulièrement plus passionnante que la notice Wikipedia du cocovore. D’une voix un brin narquoise qui ne cache pas son omniscience, il la remodèle à son gré, la transforme ici ou là, l’arrange ou la dérange, pour en faire un roman complet, avec de vrais morceaux de personnages dedans. Des personnages parmi lesquels on aura d’ailleurs la bonne surprise de retrouver le capitaine Slütter et la jeune Pandora, tout droit sortis de La Ballade de la Mer salée de Hugo Pratt, le temps d’une respiration bienvenue dans le récit désolant de cette utopie mal barrée. Gratuite en apparence, la digression illustre en fait assez bien la méthode d’un auteur qui survole son histoire à la façon d’un drone : il butine, zigzague, s’attarde ou bien accélère de manière fulgurante pour suivre le temps d’un paragraphe le destin d’un personnage croisé par hasard. Un destin d’ailleurs souvent lié au futur IIIe Reich, comme si le délire collectif de tout un peuple pouvait bien n’être pas sans rapports avec les divagations hygiénistes de quelques blonds paléo-hippies. Comme si le ver, en somme, était déjà dans la noix.

Né en 1966, Christian Kracht est l’auteur d’une quinzaine de livres que l’on rattache, à tort ou à raison, au courant de la Popliteratur allemande. Deux d’entre eux ont été traduits précédemment en français. Horreur ! Ils ne sont plus disponibles…

Yann Fastier