Le film britannique « The sound Barrier » réalisé par David Lean en 1952 traite de l'obsession d’un riche constructeur d’avion
bien décidé à faire passer le mur du son à ses pilotes d’essai quitte à risquer la vie même du mari de sa propre fille. Le scénario place l'histoire quelques années avant 1947 date à laquelle officiellement l’aviateur américain Chuck Yeager aurait franchi ce que l’on appelle aussi le MACH1. Et l’homme qui propulse ses pilotes dans le ciel depuis un gigantesque bureau panoramique, c’est John Ridgefield, magnat du pétrole, incarné par le comédien aujourd’hui bien oublié Ralph Richardson. Le richissime homme d’affaire qui scrute tous les soirs l’infini du ciel avec ses jumelles astronomiques n’a qu’une idée en tête : savoir ce qui se passe quand un avion passe le mur du son. Patron autoritaire, despote familial, rongé par sa passion ambitieuse, le personnage révèle cependant peu à peu une sensibilité qui affleure dans ses contradictions, déchiré qu’il est entre sa quête d’absolu et le jeu dangereux qu’il mène en lançant ainsi des hommes en offrande au ciel, tel de simples confettis. Toute la subtilité de cette histoire réside dans ce miroir à double face, science et mysticisme se fondant étrangement dans le discours du film. Ainsi John Riedgfiel et ses pilotes partagent une même dialectique qui fera dire à l’un d’eux : « ça ne vient pas de la tête (cette passion) mais du coeur…". Que pouvons donc nous faire alors, nous humbles mortels à part assister au grand spectacle que nous donnent ces surhommes, prêts à défier l’univers et conquérir le ciel ? De ce point de vue c’est Susan, la fille de l’industriel, incarnée par Susan Cabot, qui symboliserait l’humanité et d’une certaine façon, le spectateur. Rongée par la peur du crash, elle se réfugie dans un cinéma à chaque fois que son mari décolle. Elle est le pivot de la tension qui règne dans le film de part sa relation très tendue avec son père qui atteindra son paroxysme avec la mort du jeune frère dans un essai-test. Si elle participe au suspense du film, c’est aussi elle qui nous embarque en décollant avec son mari dans une séquence vue du ciel merveilleusement douce et poétique. Transporté dans l’univers cotonneux du monde d’en haut au son des moteurs à réaction, le spectateur vibre à l’unisson du coeur de ces pilotes prêts à mourir au nom d’un idéal. Le génie de David Lean est de nous projeter dans l’infiniment grand par la grâce d’un montage incroyable, pour mieux nous ramener à notre condition de misérables petits humains. Son travail sur ce film aura été de questionner cette quête d’immortalité tout en mettant à l’honneur les aventuriers, les têtes brulées mais complexes à la fois. L’alliance entre la réflexion métaphysique, la recherche formelle et les relations tendues des personnages entre eux transcendent un film qui aurait pu n’être d’ailleurs qu’un simple film d’action. La seule chose qui risque de nuire à cette oeuvre est le passage du temps. Visuellement les progrès technologiques du cinéma ont permis de réaliser depuis d’ambitieux films d’aviation, on se rappelle encore de "l’étoffe des héros » dans les années 80 ou, plus près de nous, le "Dunkerque "de Christopher Nolan dont les prouesses visuelles risquent de ramener aux yeux du spectateur contemporain ce beau film en noir et blanc au simple rang de drame familial.
Cécile Corsi