« Pour écrire son autobiographie il faut être un sacré connard, ou alors c’est qu’on est fauché. Moi, c’est un peu des deux. »
La première phrase du bouquin de la guitariste des Slits, groupe emblématique de la scène punk anglaise 76 donne le ton : Viv Albertine ne mâchera pas ses mots et ne s’épargnera pas. Tant mieux. Sa mère fustigeait son obsession pour les fringues, la musique et les mecs quand elle avait 13 ans ? Qu’à cela ne tienne, Viv lui emprunte la formule pour un titre très girly tout en sarcasme. Car de fringues, de musique et de mecs, trinité symbole de rébellion pour cette ado survoltée, il en sera beaucoup question, mais pas que. Il sera aussi (surtout) question de sex and drug and rock’n’roll, de politique, de son, de mix, de composition, d’écriture, bref de sujets sérieux (masculins). Et se réduire elle-même à une gentille demoiselle uniquement intéressée par des motifs « futiles », voilà de quoi faire rire ; comme il serait grotesque de présenter les Slits comme un groupe de filles, sous-entendu de jolies poupées dressées pour séduire le public (masculin), ou de les confiner au rôle de petites amies de musiciens connus. Sur scène, les quatre furies (Viv, Ari Up, Tessa et Palmolive) dérangeaient plus qu’elles n’attiraient les mâles ; quand elles ne se crêpaient pas le chignon, Ari Up pissait debout et la grande gueule de Viv tenait le public à distance. Pas pour elles, les stéréotypes féminins. Pas pour elles non plus, les déclarations féministes. Leur démarche était spontanée, viscérale, individuelle : « On ne voulait pas que les mecs aient envie de nous, on voulait qu’ils aient envie d’être nous ». Les fentes londoniennes n’ont jamais fait de compromis et leur premier LP, Cut, très personnel, peu représentatif du courant punk dont il est issu, atteste encore d’une démarche originale, d’avant-garde, qui a résisté au temps. Que l’autobio de Viv soit drôle, sincère, tout en finesse et en recul, il ne pouvait donc en être autrement. Chapitres courts, au présent, anecdotes comme autant de marqueurs d’une existence, Viv sépare sa vie en deux. Face A : de sa naissance à la fin des Slits en 1982 : avec une franchise déconcertante, elle y raconte son père français bas du front, ses premiers émois, Mick Jones, les tensions au sein de son groupe, ses morpions, la société anglaise si agressive à leur encontre, son avortement, ses doutes, ses espoirs… Face B : de sa dépression post-Slits à aujourd’hui, où l’on apprend qu’elle a traversé les 80’s comme prof d’aérobic, puis comme réalisatrice en vogue. Les 90’s la voient s’éloigner sensiblement de la sphère publique, (mariage, FIV, naissance de sa fille, cancer…), jusqu’à l’enfermer dans un statut de desperate housewife dont elle peine à s’extirper et dont elle fera le thème de son album solo. The Vermilion Border, aux accents post-punk forts honorables, sort en 2012. Pour imposer son retour, elle aura dû faire, pendant deux ans, le tour des pubs, à cinquante balais passés, seule avec sa guitare et ses compositions racontant sa vie de femme mûre. Ses prestations scéniques, notamment du titre « Confessions of a Milf » feront dire à Carrie Brownstein, guitariste de Sleater-Kinney puis de Wild Flag, après un concert à New York, en 2009 : « Vous avez vu quelque chose de punk, vous, dernièrement ? » Non féministe devenue le symbole d’une forme de libération féminine, inspiratrice malgré elle (et fière de l’être, finalement) du mouvement des Riot Grrrls, Viv Albertine n’a rien d’une icône figée atteinte du syndrome du c’étaitmieuxavant, elle continue d’avancer. A Typical Girl ?
Marianne Peyronnet