Autant prévenir tout de suite, on ne cherchera pas à démêler ici le sac de nœuds syrien :
Le Monde diplomatique n’est pas fait pour les chiens et l’on n’aura pas la prétention d’une quelconque expertise sur le sujet. Zerocalcare non plus : parti presque en curieux faire un tour avec quelques copains dans les zones de guerre kurdes de Syrie et de Turquie, le bédéaste italien en rapporte plutôt les impressions d’un candide définitif que les certitudes d’un militant ou de l’un des ces innombrables « experts » pour talk-show télévisuel dont l’entartage se fait par ailleurs attendre. Il n’est pourtant jamais bien loin du cœur de l’action : dans un village du Rojava, à quelques centaines de mètres de Kobane occupée par Daech, dans les montagnes du Kurdistan turc alors qu’Erdoğan s’apprête à relancer une guerre qui dure maintenant depuis plus de 40 ans… Jamais bien loin, donc, mais toujours un petit peu à côté : c’est l’angle qu’il choisit d’adopter au long de ces 270 pages passionnantes et parfois déchirantes. Plus « gonzo » que Rambo, il ne cesse d’opposer son personnage d’indéracinable urbain, addict au portable, au plum-cake et à la pop culture à une réalité politique et historique qui n’en prend que plus de sens et de poids au fil des rencontres et des témoignages. Être Kurde en Turquie s’avère un métier plutôt rude et d’avenir incertain, c’est le moins qu’on puisse dire au récit des exactions commises par l’Etat et l’armée… Et pourtant, c’est bien un avenir que ces femmes et ces hommes ne cessent de s’inventer au bout de leurs kalachnikovs : un avenir fait de respect de l’autre et de dignité, d’égalité et d’ouverture au monde, bâti jour après jour avec une abnégation, un courage et une force d’âme qui laissent pantois le petit bourgeois que nous sommes bien malgré nous. Utopie ? Peut-être… Propagande ? Sûrement pas. Et Zerocalcare, s’il ne craint pas d’évoquer ses doutes, n’est pas de ces idiots utiles qui purent naguère servir la soupe à Staline, à Pol-Pot ou à Mao et préfèrent maintenant renvoyer tout le monde dos à dos de peur de se tromper encore une fois. Pour avoir côtoyé, ne serait-ce que quelques jours, les combattantes et les combattants des montagnes kurdes, il a tout simplement choisi son camp. Et nous avec lui.
Yann Fastier