Tribunal de Bayonne, petit bled de Louisiane.

 

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Le jury vient de rendre son verdict. L’accusé est condamné à la chaise électrique pour braquage et meurtre. Dans l’assistance, un homme se lève. Un vieil homme noir qui porte un revolver. Il crie : « Fils ! », tire et tue son garçon. Puis il sort en demandant qu’on lui laisse deux heures.

Brady Sims est une figure locale. C’est même l’ami du bienveillant Shérif Mapes, 150 kilos de graisse blanche. Il n’est pas dangereux. Il n’y a bien que Louis Guérin, reporter fraîchement arrivé sur ces terres, pour ne pas connaître son histoire. Le jeune journaliste, se voyant confier la rédaction d’un article « à résonance humaine » sur Brady, se rend au salon de coiffure du village, celui qui coiffe et rase la communauté noire, pour en savoir plus.

Tour de force que ce court roman de Gaines ou Comment, en 110 pages, raconter la vie d’un homme et peindre le contexte social et économique du Sud des Etats-Unis au sortir de la seconde guerre mondiale.

Brady n’apparaît directement que dans peu de scènes du livre. Il est omniprésent, à travers les témoignages de ses amis. Il est emblématique. Quand il était plus jeune, il fouettait les enfants. Autrement dit, il dressait les chenapans laissés aux bons soins de grands-parents ou d’oncles dépassés par la tâche. La guerre avait tué les hommes, la modernisation de l’agriculture avait chassé les femmes vers les villes. Les parents étaient partis. Il fallait bien quelqu’un pour éduquer les gosses, leur éviter les petites ou grosses bêtises qui les mènent directement au pénitencier d’Angola d’où ils ressortent brisés. Pas de pitié pour les Noirs. Aucune compassion dans ce Sud toujours ségrégationniste et violemment raciste.

Huis clos théâtral, L’homme qui fouettait les enfants dessine par touches subtiles, anecdotes piquantes, un monde en noir et blanc, qui se mélange peu et où ce sont toujours les mêmes qui ont tort et sont punis. Brady n’est pas un ange. Il levait facilement le poing sur les gamins et les femmes. Mais il est fier. Et il a échoué à protéger son propre fils d’une sanction expéditive. Dix membres dans le jury, un seul Noir qui se plie au choix des autres, par peur des ennuis et un manque flagrant d’estime dans son propre jugement. Déjà qu’il a réussi les tests (réservés aux Noirs) pour obtenir le droit de vote, pas envie de se faire remarquer encore. Le fils de Brady, toxico, voleur de faible envergure, n’a tué personne, mais la justice est sans appel. Ce sera la peine capitale, et la honte. Alors, autant lui épargner l’humiliation d’une mise à mort orchestrée par des étrangers. Ensuite, deux heures seront suffisantes pour… une fin tragique.

Ernest J. Gaines a reçu de nombreuses récompenses pour Dites-leur que je suis un homme en 1994. En 2004, il a été nommé pour le prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre. Le monde qu’il décrit est un damier où les pions ont toujours la même couleur et sont souvent perdants. Ses romans, au contraire, n’ont rien de manichéen et les personnages qu’il crée conservent, d’où qu’ils viennent, une part de lumière et d’ombre.

Marianne Peyronnet